Le Service Numérique et l'Hébergement : Analyse des Engagements en Faveur de l'Environnement

La transformation numérique s'est accompagnée d'une augmentation massive de la consommation d'énergie, en particulier au sein des centres de données. Dans ce contexte, un Référentiel Général d'Écoconception de Services Numériques a été mis à disposition par les services de l’État, à travers la DiNUM (Direction Interministérielle du Numérique), le Ministère de la Transition Écologique et l’ADEME (Agence de l’Environnement de la Maîtrise de l’Energie), des entreprises et des collectivités afin qu’elles puissent évaluer leur impact et adapter leurs pratiques.

Une seconde version de ce référentiel sera prochainement publiée sous l’égide de l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques, des Postes et de la Distribution de la Presse) à l’issue d’une enquête publique à laquelle OCTO Technology a contribué. Ce référentiel comporte une section entièrement dédiée aux pratiques d’hébergement, déclinée en 12 points que nous nous proposons d’approfondir avec une série de 9 articles :

  • Adhésion au Code de Conduite Européen
  • Démarche de réduction de l’impact écologique
  • Politique de gestion durable des équipements
  • Indicateurs et métriques
  • Origine durable de l’électricité
  • Impact de la localisation géographie
  • Données chaudes et données froides
  • Duplication et redondance des données
  • Récupération de la chaleur fatale

Aujourd’hui : le critère 8.2 :

“Le service numérique utilise-t-il un hébergement ayant une démarche de réduction de son empreinte écologique ?”

Mise en œuvre

Sélectionner un hébergeur ayant des engagements environnementaux

Le point de départ consiste à choisir un hébergeur qui démontre un véritable engagement envers l'environnement. Vous pouvez rechercher des indicateurs tels que :

  • Une charte environnementale ou une politique environnementale clairement définie.
  • Des certifications environnementales telles ISO14001 (management environnemental), ISO50001 (management de l’énergie), LEED (Leadership in Energy and Environmental Design, la HQE nord-américaine et norme la plus utilisée au monde dans le domaine du bâtiment), BREEAM (BRE Environmental Assessment Method, la HQE britannique), HQE (Haute Qualité environnementale, norme française), qui attestent des efforts de l'hébergeur en matière de durabilité. Les deux premières normes concernent le management des organisations, les trois dernières leur patrimoine immobilier.

Framework des normes ISO 14001 et ISO 50001 : les deux frameworks sont identiques. Ils figurent 10 étapes : Domaine d'application, Références normatives, Termes et définitions, Contexte de l'organisation, Leadership, Planification, Support, Réalisation, Évaluation, Amélioration.

  • La mesure et la communication des impacts environnementaux liés à leurs opérations.
  • La mutualisation des ressources machine pour optimiser l'utilisation de l'énergie.
  • L'utilisation de méthodes de refroidissement qui exploitent des sources d'énergie renouvelable, comme l'eau ou l'air, ou qui récupèrent la chaleur générée.
  • Une analyse de l'impact environnemental du passage au cloud, avec des outils de calcul proposés par les fournisseurs en amont de la migration.
  • La manière dont le datacenter a été construit, en évaluant l'artificialisation des sols et les pratiques d'aménagement durables.

Méfiance envers le greenwashing

Méfiance envers le greenwashing

Il est essentiel de rester vigilant face au greenwashing, c'est-à-dire les pratiques de communication trompeuses visant à faire croire que l'entreprise est plus respectueuse de l'environnement qu'elle ne l'est réellement. Pour éviter cela, il est important de vérifier si l'hébergeur dispose d'une preuve tangible de la mise en œuvre de ses engagements environnementaux. Un tiers indépendant et de confiance peut également certifier ces efforts, renforçant ainsi la crédibilité des allégations de durabilité.

Hyperscaleurs

L’exemple de Google

Google consacre une page facilement accessible pour détailler son programme écoresponsable. Il est possible d’y trouver, de manière claire et concise, l’historique des mesures depuis 2008. Le mode de calcul du PUE (indicateur d’efficacité énergétique), qui chez Google inclut les sources de consommation d'énergie annexe, est aussi détaillé. Deux chiffres sont donc mis en avant : le PUE version Green Grid et celui version Google. Le schéma ci-dessous explicite la différence. La limite bleue indique le périmètre couvert par la norme définie par Green Grid, celle en rouge la norme définie par Google. Sur les douze derniers mois, Google se targue d’afficher un PUE de 1,10 selon ses critères et de 1,06 selon ceux couramment admis par l’industrie.

Graphique montrant le fonctionnement énergétique d'un datacenter Google

Le géant de Mountain View fournit également un graphique montrant la progression de l’indicateur sur l’ensemble de ses datacenters depuis sa mise en place en 2008, avec en bleu la moyenne trimestrielle et en rouge la moyenne annuelle sur douze mois coulants :

Moyenne du PUE trimestrielle sur 12 mois

Depuis 2013 et encore plus depuis 2020, on voit une stagnation dans la progression. Cela est à mettre en rapport avec le fait qu’il est impossible qu’un PUE soit inférieur à 1. Du coup, on peut considérer que les résultats affichés par Google sur ce critère sont très bons. Dans le détail, les datacenters de Google se situent entre 1,07 et 1,20 sur les douze derniers mois. Ces résultats font dire à l’entreprise qu'”en moyenne, les centres de données Google sont une fois et demie plus économes en énergie que les centres de données d'entreprise classiques.”

L’exemple d’Amazon AWS

Plutôt que sur les indicateurs de Green Grid, Amazon préfère communiquer sur son implication dans l’initiative The Climate Pledge qu’elle a lancée et sur son objectif "Net-Zero Carbon" d’ici 2040.

Amazon fournit dans ce cadre de nombreuses données sur ses initiatives de réduction de son impact mais, s’ils existent, les indicateurs standardisés ne sont donc pas fournis de manière évidente, rendant toute comparaison difficile sur cette base. De plus, il faut bien faire attention à la lecture de ses rapport au champ couvert par les différents indicateurs, ceux spécifiques au cloud étant noyés dans la masse des autres activités de l’entreprise.

Clouds français

L’exemple d’OVHcloud

OVH, un acteur majeur dans le domaine des services cloud, se démarque par son engagement en faveur de l'environnement. Sur son site web, une section dédiée met en lumière ses actions concrètes pour la durabilité. Vous y trouverez un rapport complet sur l'impact environnemental de l'entreprise ainsi que ses principaux axes d'action, notamment en matière d'énergie, d'eau et de gestion des déchets. Chaque datacenter est présenté avec des données essentielles telles que son efficacité énergétique (PUE), son utilisation de l'eau, sa source d'énergie et ses pratiques de refroidissement. Une initiative intéressante est la possibilité offerte aux utilisateurs de suivre en temps réel les performances environnementales de certains datacenters, démontrant l'engagement d'OVH envers la transparence et la durabilité.

L’exemple de Scaleway

Scaleway (groupe Iliad) est sans doute le cloud provider qui fournit le plus de données. La page de son site web consacrée à son “leadership environnemental” réunit son rapport d’impact, ses axes d’action (énergie, eau, économie circulaire, produits durables). Pour chaque datacenter, un tableau résume les données clés annuelles (2022 à l’heure de l’écriture de cet article). Les données prises en compte sont le PUE, le WUE (Water Usage Efficiency), la source d’énergie, le système de refroidissement.

Véritable originalité : il est possible de suivre en temps réel les données de trois datacenters parisiens.

Données des datacenter Scaleway de Paris en temps réel

Enfin, Scaleway, qui a mis cette réflexion au coeur de son action, propose un livre blanc sur l’adoption du Green IT dans les entreprises du cloud.

Des comparaisons sont-elles possibles ?

La plupart des grands cloud providers fournissent à minima leur PUE. Il est aussi possible d’avoir en général accès à des données régionales, voire par datacenter. La plupart communiquent aussi sur d’autres indicateurs et objectifs, ainsi que sur l’évolution dans le temps de leurs résultats, notamment au travers de leurs rapports annuels d’impact.


PUE
CUE
(en kg CO2e/kWh IT)
WUE
(en L/kWh IT)
REF
Google
1,06 (norme Green Grid)
N/A
N/A
N/A
Azure
1,18 (2022)
N/A
0,49 (2022)
N/A
OVHcloud
1,29
0,18
0,29 (2023)
91 %
Scaleway
1,398 (2022)
N/A
0,205 (2022)
N/A
Outscale
1,59 (2020)
N/A
N/A
N/A
Moyenne mondiale
1,57 (2021)
N/A
N/A
N/A

Pour reprendre nos exemples, en termes de transparence, Google ne fournit pour le moment que son PUE, ce qui limite la possibilité de comparer ses performances sur les autres indicateurs et notamment sur la consommation en eau. Amazon n’apparaît pas du fait de sa non-utilisation des indicateurs standards.

En revanche, les cloud providers français font figure de bons élèves avec des données à jour sur l’ensemble des indicateurs de référence pour OVHcloud. Nous n’avons pas pu trouver le CUE de Scaleway mais cette absence est largement compensée par la transparence dont fait preuve l’entreprise sur l’ensemble de sa politique environnementale.

Et si mon hébergeur ne fournit pas d’indicateurs ?

Il est parfois possible que ces données ne soient pas directement disponibles auprès de l’hébergeur. Ainsi, on ne trouve pas aisément ces données chez Clever Cloud, bien qu’il y ait une déclaration d’intention et que le fournisseur français indique pratiquer le “Green IT by Design”.

Dans ce cas, il est essentiel de demander des informations sur la consommation énergétique de l'hébergement. Bien que ce ne soit pas aussi précis que les indicateurs environnementaux, cela peut donner un aperçu de l'efficacité énergétique du centre de données.

Moyens de test ou de contrôle

La recherche d'hébergements numériques respectueux de l'environnement ne se limite pas à prendre des engagements verbaux. Il est essentiel de mettre en place des moyens de test et de contrôle pour garantir que les pratiques environnementales annoncées sont effectivement mises en œuvre. Voici quelques démarches à considérer :

  1. Certifications environnementales : Les certifications telles qu'ISO14001 , ISO50001, LEED, BREEAM, HQE, sont des indicateurs clés de l'engagement d'un hébergeur envers la durabilité. Elles sont délivrées par des organismes indépendants après des évaluations rigoureuses. Vérifiez si l'hébergeur dispose de ces certifications et examinez les rapports d'audits associés.

  2. Rapports de performance environnementale : Les hébergeurs engagés dans une démarche environnementale publient généralement des rapports périodiques sur leur performance environnementale. Ces rapports détaillent souvent la consommation d'énergie, les émissions de carbone, la gestion des déchets, et d'autres aspects environnementaux. Les clients peuvent examiner ces rapports pour évaluer les progrès réalisés.

  3. Tiers de confiance : Certains hébergeurs soumettent leurs opérations à l'audit de tiers de confiance, tels que des organismes de certification indépendants ou des experts en durabilité. Ces audits garantissent une évaluation impartiale des pratiques environnementales. Assurez-vous que l'hébergeur est ouvert à ces évaluations externes.

  4. Échanges avec d'autres clients : Échanger avec d'autres clients de l'hébergeur peut fournir des informations précieuses. Les clients actuels peuvent partager leur expérience en ce qui concerne la mise en œuvre des engagements environnementaux, offrant ainsi une perspective pratique.

  5. Analyse des résultats : Un moyen de contrôle important consiste à analyser les résultats concrets des actions de l'hébergeur en matière de durabilité. Cela peut inclure la réduction de la consommation d'énergie, la diminution des émissions de carbone, ou l'efficacité de la gestion des déchets. Ces données doivent être disponibles pour évaluer les progrès.

  6. Participation à des initiatives de durabilité : Les hébergeurs engagés dans la durabilité sont souvent membres d'organisations ou d'initiatives du secteur visant à promouvoir des pratiques respectueuses de l'environnement. Vérifiez si l'hébergeur participe à de telles initiatives.

L'ensemble de ces moyens de test et de contrôle contribue à s'assurer que les engagements environnementaux de l'hébergeur sont pris au sérieux et mis en œuvre de manière efficace. En tant que consommateur de services numériques, il est de notre responsabilité de faire preuve de diligence et de choisir des partenaires qui partagent nos valeurs en matière de durabilité environnementale.

Zoom sur les indicateurs Green Grid

Nous reviendrons plus en détail sur les indicateurs et normes dans un futur article. S’agissant des PUE, WUE, CUE ou REF, il faut cependant savoir que le système d’évaluation est autodéclaratif. Il n’existe aucun organisme officiel chargé de contrôler la réalité des mesures ou de sanctionner les déclarations erronées. Le respect de ces normes ne revêt aucun caractère obligatoire non plus, il s’agit d’un ensemble de bonnes pratiques. Il faut donc s’en remettre à la bonne foi des entreprises et de leurs cabinets d’audit en la matière.

Toutefois, les bénéfices économiques apportés par une baisse de la consommation énergétique ainsi que les effets positifs sur l’image des entreprises sont une motivation forte pour s’y conformer dans un secteur hautement concurrentiel.

Le véritable apport de ces indicateurs pour l’utilisateur est d’introduire une standardisation afin de faciliter la comparaison entre les offres.

La RGESN recommande que les utilisateurs exigent de leurs hébergeurs ces indicateurs environnementaux. Illustrons cela par deux exemples : Google et OVHcloud. Le géant de Mountain View a été un des premiers à communiquer sur ses efforts en matière de Green IT tandis qu’en Europe, le challenger français se pose lui aussi en précurseur.

Se méfier des fausses promesses

L'objectif de neutralité carbone pour les entreprises du numérique d'ici 2050 est une promesse qui, même avec les meilleures intentions et efforts, semble tout simplement hors de portée. Même en envisageant qu'elles mettent en place toutes les mesures possibles pour réduire leurs émissions de carbone, il est peu probable que ces entreprises parviennent à éliminer complètement leur empreinte carbone.

Les infrastructures numériques, avec leurs énormes serveurs et leur consommation électrique croissante, sont intimement liées à la production de gaz à effet de serre. De plus, la nature même de l'évolution rapide des technologies et des demandes du marché signifie que la demande de nouveaux équipements électroniques continuera d'entraîner des émissions importantes.

Par conséquent, même avec des initiatives visant à améliorer l'efficacité énergétique et à utiliser des sources d'énergie renouvelable, il est difficile d'imaginer que ces entreprises puissent réaliser la neutralité carbone d'ici 2050. Cette réalité met en lumière les limites intrinsèques à la possibilité de tenir cette promesse dans le domaine du numérique, nécessitant une réflexion sérieuse sur la manière de gérer les émissions résiduelles et d'autres solutions alternatives pour atténuer leur impact sur l'environnement. Ainsi, le “Net Zero Carbon” 2040 d’AWS doit lever une alerte dans l’esprit du client soucieux de ces problématiques.

Les promesses non tenues ou dissimulées.

La transition vers un service numérique plus respectueux de l'environnement est un impératif dans un monde confronté à des défis environnementaux croissants. Cet article met en lumière l'importance de choisir des hébergeurs numériques qui démontrent des engagements en faveur de l'environnement, allant au-delà des simples promesses de durabilité. Cette démarche contribue non seulement à réduire l'impact écologique de l'industrie du service numérique, mais elle peut aussi servir d'exemple pour d'autres secteurs d'activité.

Il est essentiel de rester vigilants face au greenwashing, une pratique de communication trompeuse qui peut parfois obscurcir les véritables efforts en matière de durabilité. Pour évaluer la crédibilité des engagements environnementaux d'un hébergeur, la demande de preuves tangibles, telles que des certifications, des audits indépendants ou des données de performance environnementale, est cruciale. La participation à des initiatives de durabilité et la certification par des tiers de confiance renforcent encore davantage la crédibilité de ces engagements.

En encourageant l'adoption de pratiques durables dans le secteur du service numérique, nous pouvons contribuer à la préservation de notre planète. La réduction de la consommation d'énergie, l'utilisation de sources d'énergie renouvelable, la gestion efficace des ressources et la minimisation de l'impact sur l'environnement sont des objectifs clés à atteindre. De plus, cela peut inciter d'autres entreprises à suivre l'exemple, accélérant ainsi la transition vers une économie numérique durable.

En fin de compte, la démarche pour favoriser un hébergement respectueux de l'environnement dans le secteur du service numérique n'est pas seulement une responsabilité, mais une opportunité de construire un avenir avec lequel la technologie et l'environnement coexistent harmonieusement. Cela repose sur la reconnaissance que nos choix en matière d'hébergement numérique peuvent avoir un impact significatif sur la réduction de notre empreinte carbone, et nous avons le pouvoir de faire des choix éclairés pour soutenir un avenir plus durable.