School of Product 2023 - Roxane Lacotte : User research : apporter la vérité ou pousser à l'action ?

Action ou vérité ? Quelle place pour la User Research dans une équipe produit ?

C’est la question que pose Roxane Lacotte, Coach et Consultante freelance en User Research. Elle a passé les 7 dernières années autour de la discipline de la User Research à la fois dans des grands groupes (Natixis, Saint Gobain), mais également dans des start-up/scale-up (Swile, Payfit ou Agigap).

Ce mixe d'expérience est particulièrement intéressant pour comprendre la façon dont ce sujet est traité selon la nature des entreprises. D'ailleurs un de ses espoirs en quittant les grands groupes pour rejoindre l’univers des entreprises de la tech, les start-ups et scale ups, était d'avoir davantage de latitude dans l'exercice de son métier et d’impact sur les décisions produit et design. C’était une idée fausse car il n’a pas été plus facile d’avoir de l’impact dans des structures plus agiles.

La User Research est cruciale dans le Product Management, pour aiguiller les prises de décision, construire des roadmaps qui répondent à des objectifs business et aux challenges utilisateurs. Le talk s’adressait à l'ensemble des Product People, et pas uniquement aux User Researchers.

L'objectif de ce domaine d'activité est de collecter les éléments de "vérité terrain" qui poussent les équipes qui travaillent sur le produit à passer à l’action en confiance. Cependant beaucoup de research sont menées, mais l'impact associé n'est pas toujours aussi important qu'il le devrait (ou que le souhaiteraient les auteurs de ces recherches utilisateurs).

Comment expliquer ce manque d'impact malgré la qualité des research et des professionnels chargés de construire ces insights ? Et surtout, comment pousser les organisations à passer à l'action sur base de ces insights?

L’Histoire de Timmy & Tara

Afin d'illustrer ce propos, Roxane nous raconte l'histoire de Timmy & Tara. Timmy est un rapport Insight", élevé par sa maman Tara qui pourrait être n'importe quel Product people parmi nous (Product Manager, Product Design, etc.). Tara a pris soin de lui et l'a "nourri avec beaucoup de données différentes, qualitatives, quantitatives… avant de le présenter à la grande famille des stakeholders."

Le grand jour arrive, Tara a hâte de présenter ce beau bébé, nourri avec passion au fil des jours, des semaines. Mais c'est la déception ! Les feedbacks sont peu valorisants : "Rien de très nouveau, mais c'est super, merci", "On aurait pu apprendre ça 2 mois plus tôt", etc.

Tara est très déçue et Timmy est rapidement déposé sur une étagère…Personne n'en a vraiment fait connaissance et peu d'actions ont été mises en place sur la base de ses connaissances. Le moment de restitution n'a pas engagé l'action malgré la qualité des insights présents.

Il convient donc de se demander pourquoi se produisent ces "restitutions Flop" ?

  • Parce qu'on n'a pas attaqué le bon problème
  • Parce qu’on n'a pas engagé les stakeholders assez tôt dans le processus. On présente à l’auditoire beaucoup de nouvelles informations, mais mal ou pas priorisées.
  • Parce que l'insight est mal packagé ou de mauvaise manière.

Voici les 3 principales raisons que Roxane identifie face à cette situation et la suite de son talk propose d'y remédier. Roxane nous répète qu’il convient tout d'abord d'accepter sa responsabilité dans cette "restitution flop". Car il est possible de les éviter, en se préparant de la bonne manière, en adoptant la bonne posture.

Augmenter l’impact : 3 leviers

I - Ouvrir son terrain de jeu :

La zone de compétences "socle" du User Researcher gravite souvent autour de sa capacité de "Producer", et très souvent il reste sur des activités proches de cette zone de compétences qui inclut : "auditer", "collecter de la donnée en utilisant une variété d’activité (interviews clients, tests utilisateurs, questionnaires…)" et "analyser de la donnée pour la rendre digeste".

Roxane conseille donc de s'ouvrir vers d’autres zones de compétences encore peu explorées par les personnes qui font de la research:

  • L'influence, qui intègre : "inspirer son audience", "transformer l’organisation" et "scaler la pratique de la user research". Il s'agit d'influencer les gens de l'entreprise à passer à l'action. Cela consiste à être un agent de transformation.
      • La facilitation qui intègre : "aligner son audience autour d’une prise de décision", "faciliter la collaboration entre les différentes parties prenantes" et "activer les apprentissages". Cette zone de travail consiste à aider les autres à passer à l'action.

Il est bien de produire, en auditant, collectant et analysant les données. Néanmoins, la valeur de la user research réside essentiellement dans les domaines de la facilitation et de l’influence.

Schéma du terrain de jeu du User Researcher

II - Challenger la manière dont on produit les insights.

Processus classique de user research

Pour comprendre la mécanique, Roxane rappelle tout d'abord ce qu'est le process classique, en user research :

  • Step 1 : Question de recherche
  • Step 2 : Collecte
  • Step 3 : Analyse
  • Step 4 : Restitution
  • Step 5 : Décision (peut-être)

Le problème que soulève cette approche qualifiée de "classique" est que l'on part d'une question de recherche. Or, les user researchers ne challengent pas assez cette question de recherche.

Pourquoi souhaitons-nous creuser cette question plus qu’une autre? Quel est le lien entre la question de recherche et la stratégie de l’entreprise? Est-ce bien la question la plus importante à aller creuser? La stratégie globale ne ressort pas de façon évidente. Le manque d’impact lors de la restitution des insights peut provenir du fait que nous ayons choisi le mauvais point de départ pour notre recherche, la mauvaise question, celle qui n’est pas la plus cruciale à répondre d’un point de vue business.

Decision-first research - processus alternatif

Roxane propose donc de s'appuyer sur un processus alternatif. Le "decision first research", approche modélisée par Behzod Sirjani.

L'objectif est de démarrer le processus en se focalisant sur la stratégie, en focalisant la recherche sur la décision à prendre.

  • Step 1 : Décision
  • Step 2 : Collecte
  • Step 3 : Analyse
  • Step 4 : Restitution
  • Step 5 : Action

Pour déterminer la décision-question à laquelle on doit répondre, la séquence est la suivante :

  • On focalise la research sur l'important
  • On cadre la décision que le business / produit doit prendre
  • On priorise le partage de preuves qui valident ou invalident la décision à prendre Cela va permettre de gagner du temps et potentiellement d’augmenter l’impact.

Cependant dans ce processus le plus compliqué reste de déterminer la décision que la research doit venir supporter, LA décision que notre équipe doit débloquer en priorité, c'est-à-dire : "comment monter sur la première marche du processus".

Comment définir la décision à supporter ?

Step 1 : Cadrer la décision : avec l'équipe / les stakeholders. Dès le départ, commencer avec des discussions avec les personnes impliquées. Pour cela il faut structurer la discussion selon 3 questionnements :

  • Qu'est-ce qui est important pour le business aujourd'hui ?
  • Comment cette décision va avoir un impact sur le produit ?
  • Quel est le risque si on ne le fait pas ?

Step 2 : Connaître l’audience : Qu'est-ce qui va être important pour chacun des interlocuteurs ?

  • Pour l'équipe technique : dette technique, bugs, etc.
  • L'équipe produit : taux de churn, etc.
  • L'équipe design : frictions sur le parcours utilisateurs, etc. Parler le même langage que son équipe, adapter son discours à l'audience est crucial pour les engager, pour leur faciliter la tâche et leur apporter de la valeur par votre travail.

Step 3 : Les engager tout au long du processus, car il n'existe souvent pas de rituel autour de la User Research comme on peut en trouver au sein du développement produit (daily stand up, rétro planning…). Roxane suggère donc de mettre en place des “check points” réguliers avec ses stakeholders, pour s'assurer que la research va dans le bon sens en nourrissant les stakeholders au fil de l’eau pour ajuster les décisions Note : par exemple chez Swile Roxane avait mis en place une "insight hotline" pour partager ses insights au fil de l'eau

III - Améliorer le packaging pour distribuer les insights

Bien-entendu, il faut tout faire pour ne pas tomber dans le concept de la "mort par PowerPoint" Roxane propose quelques techniques pour éviter cela.

Beaucoup de professionnels construisent encore ce que Roxane qualifie d'Insights en 2D, ce qui est normal et utile notamment pour l'alignement avec la connaissance utilisateur, au travers d'un socle de compréhension de l'utilisateur.

  • Fiches Personna;
  • Customer Journey Map;
  • Etc.

Pour pousser à l'action il est intéressant de compléter ces insights 2D avec des insights 3D. Ils ne sont pas nécessairement exhaustifs, mais ils montrent les challenges importants et l'urgence à agir.

Ces insights 3D, s'appuient sur 4 aspects :

Insight 3D

  1. Preuve robuste (à laquelle on croit) : se rappeler qu'un adulte retient seulement 10 % de ce qu'il a entendu dans la journée. Il faut donc se concentrer sur les preuves relatives aux 10 % Qu’est ce qui nous semble le plus important? Quels sont les 10% que nos stakeholders doivent apprendre?

  2. Challenge : Se positionner comme un coach sportif: quel est l'obstacle qui va être le plus difficile à surmonter. Pourquoi cet obstacle va être le plus difficile à franchir et comment, "en tant que coach" on va réussir à le franchir ensemble. En synthèse :"Comment l'équipe doit aborder le sujet ?"

  3. Histoire : raconter des histoires, plutôt que reprendre des faits, c'est plus marquant. C'est ce que retiendra le plus facilement les équipes.

  4. Langage : quels éléments de langage on garde. Réfléchir à la meilleure "expérience audience" que l'on souhaite proposer ? L’usage de l’écrit est privilégié au travail, nous pouvons en sortir! Un insight peut être partagé de manière visuel, auditif, expérientiel pour marquer l’audience.

Insight 3D illustré

En conclusion : "Research : Action ou Vérité ?

Alors, l'objectif est-il d'être exhaustif et de montrer l'intégralité des éléments appris durant notre Research et de laisser nos interlocuteurs faire leurs propres choix ?

Ou bien notre rôle lorsque l’on fait de la Research est-il d'aider à passer à l'action ? De montrer quelque chose de plus simple, et de proposer des directions, en mettant en évidence celles qui nous paraissent pertinentes.

Comme illustré ci-dessus, la valeur de la user research réside dans la mise à disposition aux utilisateurs d’une cartographie, des options possibles avec des éléments qui permettent d’aider dans la prise de décision.