Un Archi dans l'océan du green – compte-rendu du talk de Wojciech Wojcik à La Duck Conf 2023

le 02/05/2023 par Adrian Staron
Tags: Numérique Responsable

Dans ce talk, Wojciech nous fait une rétrospective sous la forme d’un journal de bord de ses cinq années d’exploration du green IT. Je vous propose de résumer son parcours ici, et la manière dont, en tant qu’auditeur, je l’ai reçu.

Le début de l’aventure

Son voyage commence donc au port, Octo. Un article de blog parlant du sujet est publié… Et attire les foudres d’un expert. Pourtant Wojciech l’a bien relu et validé, alors quoi ? Un excès de confiance en lui ? Probablement. Il plonge au fond du creux de la courbe de Dunning Kruger, et c’est le début d’un nouveau chapitre pour Wojciech et pour Octo.

Courbe de Dunning Kruger: Confiance en ordonnée, compétence en abscisse, la courbe atteint un pic de confiance très vite avant de tomber tout aussi vite très bas. Elle remonte ensuite lentement avec la compétence.

Enrôler des compagnons de route

Malgré un sujet excitant qu’on imaginerait s'imposer de lui-même, convaincre de son importance s’avère une tâche moins simple que prévue. Mais après quelques discussions en interne, un équipage d’explorateurs se forme et…

C'est l'heure de lever l'ancre !

Les abysses des impacts du numérique

La mer devient froide et profonde. Image sous-marine inquiétante.

Il est d’abord nécessaire d’explorer la mer du numérique et ses impacts. On pense facilement aux plus évidents: les déchets, le coût énergétique… Mais il y en a un que l’on identifie pas forcément, et c’est peut-être le pire: celui de l’industrie minière, la première pollueuse mondiale. Et c’est sur elle que se construit celle du numérique.

En effet, l’extraction des terres rares nécessaires à la fabrication de nos terminaux est de plus en plus inefficace, et demande toujours plus de chimie toxique, de consommation d’eau.

Par ailleurs, on ne peut parler d’industrie minière sans en invoquer les impacts sociaux. On parle ici de souffrances humaines, et on les trouve sur toute la chaîne de valeur du numérique, depuis les mines exploitées en partie par des enfants, jusqu’aux décharges toxiques à ciel ouvert qui contaminent les populations alentour, en passant par les usines aliénantes qui en sont à installer des filets à suicide sous leurs fenêtres.

Mais tout cela, ça ne relève en réalité pas de l’expertise de l’équipe, et ça lui donne le vertige. C’est le moment de faire une escale et de s’arrêter à la taverne.

La mesure à la rescousse

L'ivresse de la mesure. Image d'un tripot animé.

Ce qui remonte le moral de l’équipage, c’est la découverte de méthodes et d’outils pour quantifier les impacts du numérique. Pas besoin d'être expert du carbone, des multiples pollutions ou des ressources abiotiques pour devenir capable de modéliser et d’évaluer ces impacts: remettre la main sur de la donnée étanche leur soif d‘ingénieur. Alors on se forme à l’analyse du cycle de vie, l’éco-conception, le bilan carbone, l’usage de bases d’impacts... Après la période de doute vient l’ivresse de la mesure, et l’équipage remplit ses cales d’outils pour essayer de décomplexifier le problème qui la dépassait.

Tout transformer en chiffres, c’est certes rassurant, mais le modèle qui résulte de cette méthode reflète-t-il bien la réalité ?

Les limites de la mesure

La gueule de bois. Image d'un ivrogne au petit matin.

Après l’ivresse vient la gueule de bois. Si la mesure est un moyen de modéliser le réel, elle a aussi tendance à nous en éloigner.

D’abord, la carte n’est pas le territoire, elle en est une approximation. Un bon exemple de l’étendue de cette approximation, c’est l’équivalent CO2 d’un mail. On peut trouver selon la source différentes valeurs, avec un petit facteur 40 de différentiel: 0,5g, 1g, 20g… La réalité, c’est que personne n’a jamais réellement mesuré l’impact d’un mail, parce que ce n’est pas possible. Même si on décide de prendre le modèle selon lequel 1 mail émet 1 gramme, alors 100 mails n’émettent pas 100 grammes, et d’ailleurs l’envoi de zéro mail n’émet pas zéro gramme non plus. La raison en est simplement que le matériel associé au parcours d’un mail (émetteur, réseau, data center, récepteur) est hautement mutualisé: que le mail existe ou pas, la majeure partie de son impact physique reste là.

Ensuite tous les effets ne sont pas directs, et peuvent être difficiles à identifier en avance de phase. Si l’on prend comme exemple le covoiturage, sur le papier il semble évident que mettre 4 personnes par voiture au lieu d’une va réduire les émissions carbones automobiles, cependant la pratique montre un effet rebond; les gens envisagent des trajets qu’ils n’envisageaient pas auparavant, ou pire, font certains trajets en covoiturage qu’ils auraient avant fait en train: c’est, dans certains cas, devenu plus économique. Résultat, quelques études montrent déjà que le covoiturage a en réalité augmenté le bilan carbone de la France. C’est la différence entre impacts attributionnels et conséquentiels: prévoir l’utilisation réelle qu’aura le service prend une dimension systémique.

On peut dans tous les cas s’interroger sur les limites de l’utilité de la mesure, qu’elle soit représentative de la réalité ou non. La réalité, on la voit: face à l’imminence d’un impact avec un récif, est-ce qu’un capitaine de navire sortirait ses cartes, son compas, et prendrait le temps de calculer la trajectoire optimale pour éviter le naufrage, ou est-ce qu’il virerait simplement de bord ?

Expliquer la réalité par des chiffres qui lui sont en fait décorrélés pousse à gouverner de manière toute aussi décorrélée de la réalité. On se rappelle les difficultés que l’on avait il y a quelques mois à remplir nos réservoirs. Pourtant les chiffres n’étaient pas alarmants: 80% de stations approvisionnées, en théorie c’est bien. En pratique c’est un chiffre qui a stressé le système au point de faire se lever les gens avant l’aube pour aller faire la queue en station durant des heures et dans un climat de tension, tout cela juste pour pouvoir aller au travail ensuite.

Devant ce constat, il devient nécessaire d’adopter un nouveau regard… Jusque-là l’équipage naviguait guidé par l’étoile du nord, celle de la mesure, et il commence à entrevoir, au sud, une autre étoile: celle de la frugalité, de la sobriété, de la low-tech.

L'étoile du Sud: la low-tech

L'étoile du sud: la low-tech.

De prime abord, le terme low-tech peut simplement évoquer le contraire de la high-tech: pédaler pour faire de l’électricité ? Renoncer à tous les outils dits « high-tech » et rejeter le progrès ? La réalité est bien plus profonde que cela. Le Low-tech Lab nous en donne cette définition:

Utile Une low-tech répond à des besoins essentiels à l’individu ou au collectif. [...]  Accessible La low-tech doit être appropriable par le plus grand nombre.[...]. Elle favorise ainsi une plus grande autonomie des populations à tous les niveaux  Durable [...] La low-tech invite à réfléchir et optimiser les impacts tant écologiques que sociaux ou sociétaux liés au recours à la technique [...] même si cela implique parfois, de recourir à moins de technique, et plus de partage ou de collaboration !

On y parle de besoin, d’accessibilité, de durabilité… Et ça, ça fait penser au manifeste agile. La low-tech c’est la technologie qui a pour finalité de répondre à un besoin, de rendre autonome.

Pour nous l’expliquer, Wojciech prend l’exemple d’une application qui servirait à identifier les plantes : pour un tel produit, répondre au besoin serait simplement de permettre à l’utilisateur… d’identifier les plantes. À force d’utilisation, celui-ci deviendrait probablement autonome là-dessus, son besoin disparaîtrait, ce qui le pousserait naturellement à désinstaller l’application.

Par contre, si on concevait le produit avec en tête la micro-récompense et les réseaux sociaux, on pourrait gamifier la recherche de végétaux, permettre le partage sur Instagram de la balade qu’on a faite… On pourrait même concevoir l’application sous forme d’un réseau social d’amateurs de plantes. L’utilisateur deviendrait de ce fait dépendant de l’application, qui perdrait donc sa vertu émancipatrice. C’est cet état de fait que nous invite à repenser la low-tech.

La route sera encore longue

Un nouveau départ. Image d'un marin regardant l'horizon.

Alors peut-on changer de cap, inverser la tendance ?

Faire moins de tech, juste assez tech, de la tech mais au bon endroit… Nous avons encore collectivement beaucoup de choses à déconstruire, et encore plus à apprendre.

Les défis ne manquent pas !  Capitalisme écologique Dérèglement climatique Low-Tech Circularité École numérique Croissance verte Donut Transition énergétique Essentiel Voiture électrique Pénuries Business de la fonctionnalité Développement durable Pic énergétique Égalités Régénératif

Alors, cap sur quoi ?

Petit apparté: d_ans ce talk, vous avez peut-être remarqué que Wojciech a utilisé des images générées par IA. Quelle indignité… Parler de low-tech avec un support dopé à l’IA ? Rassurez-vous, il vous partagera son point de vue sur le sujet dans un prochain article._

Références

Courbe de Dunning Kruger

Biais de l'ingénieur: le marteau de Maslow

[DEEE](http://DEEE : https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9chets_d%27%C3%A9quipements_%C3%A9lectriques_et_%C3%A9lectroniques)

Impacts de l'industrie minière: 1, source 2, source 3

Conditions de travail et filets anti suicide chez Foxconn (producteur d'iPhones)

L'Afrique, poubelle à déchets toxiques de l'Occident

Mesure: ACV, bases d'impact (exemple 1, exemple 2, exemple 3)

Modèle d’impact d’un email (étude, outil interactif)

Effet indirects

Covoiturage: document 1, document 2, document 3, document 4

Le bon sens: limite à la croissance (1970), trajectoires du GIEC

La mesure, le numérique, fatal (Benjamin Bayart sur Thinkerview, La Gouvernance par les nombres d’Alain Supiot)

Low-Tech (Low-Tech Lab, L'Âge des low-tech de Phillippe Bihouix)