Si vous ne priorisez pas, vous n'êtes pas agiles - Blocage n°2 : On ne priorise pas, on fait des promesses

Blocage n°2 : On ne priorise pas, on fait des promesses

Pour faire suite au premier article concernant les difficultés à prioriser, nous allons aborder un autre type de blocage que j’ai pu observer et qui freine l’accès aux organisations à un état d’esprit vraiment agile.

Le constat

Parfois, la raison principale pour laquelle on ne peut pas vraiment prioriser est que le périmètre ainsi que la date de livraison ont déjà été arbitrés.

Dans ces situations-là, on ne voit même pas l’intérêt de la priorisation - vue au mieux comme une perte de temps - puisque “de toute façon, on doit tout faire”.

Par dessus le marché, cet arbitrage est souvent fait très en avance, à un échelon stratégique, donc sans l’ensemble des acteurs concernés (autres directions, opérationnel, équipes de développement etc.) et qui pourraient remonter des contraintes importantes (faisabilité, effort, autres priorités potentiellement en conflit, risques …)

meme prioritization

Or, les deadlines, les promesses ou toute logique qui implique de fixer un périmètre, on l’a vu dans l’article précédent : ce n’est pas de l’agile, mais du cycle en V déguisé.

Ces deadlines, en modélisant le monde de façon statique plutôt que dynamique, deviennent des rigidités artificielles autour desquelles l’écosystème doit s’adapter. Tout aléa sera alors vu comme un problème (alors que je ne connais aucun projet sans aléa), et toutes les personnes engagées devront se contorsionner pour pouvoir absorber l'imprévu et tenir les délais.

Les raisons

La culture de la plupart des entreprises est le facteur principal, où la façon de mener des projets informatiques héritée du cycle en V et sa logique contractuelle sont encore bien d'actualité. Contourner cette logique est d’ailleurs l’objet du 3ème du manifeste agile (“La collaboration avec le client plutôt qu’une négociation contractuelle”). Dans ces contextes là, ne pas tenir les dates, ou ne pas tout livrer à temps, sont vus comme des retards ou des manquements.

Je l’explique dans cette vidéo : les organisations, qui n’ont pas encore accès au “niveau de réalité” de l’agilité (v-meme “vert”), utilisent fréquemment les dates comme un moyen de contrôle. Et la stratégie employée pour conserver ce sentiment de “contrôle” est de demander aux équipes de “s’engager” (v-meme “orange”).

Cela crée une pression, un stress perçu comme positif car “nécessaire pour que les choses avancent”. Malgré ce stress - dont les conséquences négatives sont souvent inconscientes ou invisibilisées - les deadlines sont un outil qui rassure.

Ceci est très bien illustré dans le livre “Holacracy” :

"The deadline-based approach helps us pretend that reality is more predictable and controllable than it actually is, a self-deception that's among the most comforting ones we humans engage in. And it's on this foundation that deadlines build trust - they lure others into the deception so they, too, can relax in a sense of certainty."

Les conséquences et effets pervers

D’abord, avec notre compréhension scientifique actuelle, on sait que le stress a un impact négatif sur :

Le stress engendré par les deadlines est donc contre-productif, car il contribue à rendre les équipes moins efficaces, moins capables de s’adapter ou de trouver des solutions pertinentes.

Par dessus le marché, pour éviter cette pression, les équipes opérationnelles hésitent beaucoup à s’engager ou donner des estimations. Ou alors ils prévoient très large en gonflant les estimations.

meme deadlines

Au-delà du stress, voici un autre effet pervers que j'observe : toutes les dates sont traitées de la même façon, car il faut toutes les tenir. J’ai même entendu plusieurs managers ou dirigeants l’assumer : “oui, cette date n’est pas vraiment importante, mais si je n’en impose aucune, ils vont prendre trois fois plus de temps”.

Par conséquent, on va souvent mélanger au même endroit des dates pour lesquelles l’enjeu est concret et clair pour l’entreprise (ex : Black Friday, réglementation, etc.) avec des dates plus artificielles, créées pour contraindre les équipes à s’engager.

On en arrive à un cercle vicieux dans lequel personne ne dit vraiment la vérité. Alors comment en sortir ?

Une piste de solution : “Prioriser c’est avant tout raconter une histoire ensemble”

L’idée sera de remettre de la confiance, de la transparence et du dialogue dans l’écosystème; des décideurs jusqu’aux équipes.

Les vertus

La priorisation, faite correctement, va avoir plusieurs vertus.

La première vertu est celle de diminuer les risques. Prioriser va permettre de commencer à aborder très tôt (même si de façon grosses mailles) la question du planning et des délais, et évaluer collectivement les options et scénarios possibles.

Mettre l’ensemble des acteurs autour de la table permet de prendre en compte un maximum de dimensions (métier, utilisateurs, technique, sécurité etc.). Cela va avoir comme vertu de prendre les décisions sur la base d’informations les plus complètes à ce stade là.

Cela permet également d’éviter les quiproquos au plus tôt. En effet, la plupart des tensions, erreurs ou pertes de temps ont pour cause un manque de clarté ou des différences de compréhension.

La deuxième vertu va être de créer un alignement, et une clarté. La priorisation est un moment pendant lequel les acteurs font des choix structurants desquels résulte une stratégie de réalisation. Une direction claire, et partagée par tous, facilite le passage à l’action car permet à chacun de résoudre des problèmes plus spécifiques sans la peur de remise en question d’éléments fondamentaux.

La troisième vertu est de créer une responsabilité et un engagement collectifs. C’est justement le moment propice pour sortir de la division des responsabilités entre client et fournisseur, de l’aspect contractuel, de la négociation et du jeu de dupes du “celui qui s’engagera le moins possible”. Tout le monde a participé à la décision, ce qui engage le collectif, pas une personne en particulier.

meme collaboration

Points d’attention

Ceci étant dit, il est important de noter que l’exercice sera fait correctement uniquement si elle intègre ces ingrédients là.

Faites attention à la dynamique des ateliers. La priorisation doit se faire dans un esprit collectif, horizontal (sans hiérarchie) et dans un climat de sécurité psychologique.
Imaginez que chaque personne ait une partie des pièces d’un puzzle. Il faut que chacun puisse s’exprimer et que sa parole soit considérée. C’est le seul moyen pour qu’il y ait suffisamment de transparence pour que les informations importantes remontent__.__

meme psychological safety

Racontez une histoire ensemble. N’oublions pas que la priorisation est avant tout un exercice de communication pour synchroniser les pendules de tout le monde. Donc, déroulez un chemin et assurez-vous que chaque micro-décision (la raison pour laquelle nous avons mis “fonctionnalité A” avant “fonctionnalité B” par exemple) soit claire pour tout le monde et notée (du sens !). Lorsqu’on va dérouler l’histoire, des réactions vont apparaître, et de la discussion pourront émerger d’éventuels loups.

La priorisation est une histoire qu’on peaufine, et une fois qu’elle est terminée, le collectif est aligné. Si tout se passe comme prévu, n’importe quel participant de l’atelier devrait être capable de “raconter l’histoire” à des acteurs extérieurs (notamment des sponsors qui sont le public cible).

En conclusion

Notez bien : il n’y a pas de “bonne stratégie”, “la bonne stratégie” est celle que vous aurez choisie.

Prioriser permet surtout de passer à l’action, et dans une direction commune. Il est plus important d’avoir un collectif aligné autour d’une histoire claire que de chercher à avoir “la bonne priorisation”.

Cerise sur le gâteau : si vous constatez au final que le chemin n’est pas le bon, vous pourrez toujours refaire l’exercice en prenant en compte les derniers feedbacks. C’est une pratique saine que de revoir régulièrement votre stratégie

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