School of Product 2025 - Compte-rendu du talk : De la contrainte à la créativité : le REX du lancement des shorts chez ARTE

Olivier Hoffschir, Product Manager chez Arte.tv, est venu partager un retour d’expérience portant sur un projet né d’une contrainte inattendue : l’intégration de vidéos verticales courtes (les shorts) dans l'application mobile d’Arte.
Olivier ouvre son talk avec une citation de Friedrich Nietzsche :
“Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante*”*

Une façon philosophique d’introduire le thème de son talk : comment accepter le chaos organisationnel pour en tirer de la valeur produit.

Il rappelle ensuite l’envergure d’Arte.tv : une douzaine d’applications (web, mobile et TV), disponibles en 7 langues, et consultées entre 1,5 et 2,5 millions de fois par jour.

Pourtant, derrière cette plateforme publique se cache une petite équipe : 3 PO/PM, 8 chefs de projets techniques, complétée par des prestataires) qui doit pourtant offrir une expérience digne des standards du streaming, à la hauteur d’acteurs comme Netflix.

Le défi principal reste le même : fidéliser une audience qui connaît Arte, mais ne revient pas assez souvent.

Point de départ : une contrainte qui révèle un problème.

Fin 2023, l’équipe produit découvre une anomalie dans l’application : une vidéo verticale conçue pour les réseaux sociaux, apparaît dans le player horizontal classique, avec de larges bandes noires. Une mauvaise expérience, mais surtout un contenu au format incompatible avec l’écosystème actuel.

La raison: le financeur de cette série impose une diffusion sur Arte.tv, même si le contenu avait été pensé vertical. Cette contrainte ouvre un chantier :

• Comment intégrer ce nouveau format ?
• Et peut-on en profiter pour répondre aux objectifs de rétention ?

Explorer le potentiel : contenus existants et fort engagement mobile.

En analysant l’existant, l’équipe identifie plusieurs opportunités :

• Arte dispose déjà de nombreuses vidéos verticales produites pour TikTok, Instagram ou YouTube.
• Le mobile est le support avec le meilleur taux d’engagement.
• Les shorts répondent aux nouveaux usages de consommation courte, familiers des utilisateurs.

Ces éléments orientent la réflexion : intégrer les vidéos verticales pourrait contribuer à la fidélisation.

Phase de conception : discovery, brainstorms… et une deadline imprévue

Pendant le printemps de l’année 2024, une phase de discovery démarre : ateliers Miro, échanges avec les équipes éditoriales, marketing, tech, direction…

L’idée remonte jusqu’à la direction d’Arte, qui souhaite annoncer une nouveauté numérique lors de la conférence de presse de rentrée, en septembre.

La deadline tombe :
➡️ 4 mois pour concevoir, développer et mettre en production une nouvelle fonctionnalité.

Le chaos s’invite dans le projet, exactement comme dans la citation de Nietzsche.

Choisir une expérience simple et engageante : le “bandit manchot”

Face au timing serré, l’équipe choisit une expérience inspirée des réseaux sociaux proposant déjà des shorts, c'est-à-dire : un flux vertical, un swipe pour passer à la vidéo suivante.

Ce choix s’impose pour plusieurs raisons :

• Interface minimale et rapide à développer,
  
• Contenus déjà disponibles,
  
• Mécanique engageante,
  
• Pas de personnalisation complexe,
  
• Compatible avec un delivery en quatre mois… dont un été.
  

Le MVP se limite donc à :

• un onboarding simple,
  
• un flux de vidéos mis à jour chaque jour,
  
• un ordre de diffusion fixe (pas de recommandation avancée),
  
• les métadonnées déjà existantes (titre, description).
  

L’iceberg organisationnel : une simplicité apparente, une complexité réelle

Si l’UI semble simple, Olivier rappelle que le plus difficile réside sous la surface :

• intégrer un nouveau format dans le Système d’Information,
  
• adapter les workflows éditoriaux,
  
• former les équipes internes,
  
• aligner les sociétés de production externes sur les normes Arte,
  
• Encoder, ingérer, diffuser un format inédit dans la chaîne de production.
  

C’est toute une organisation binationale et multipartenaires qui doit se mobiliser.

Livrer vite : un test en production maîtrisé

Avec seulement quatre mois, impossible de mener une campagne de tests utilisateurs classique. L’équipe choisit donc de tester… directement en production.

Pour que cela fonctionne, plusieurs conditions sont réunies :

• des KPIs clairs,
  
• un tracking via “Amplitude” prêt avant le lancement,
  
• un panel d’utilisateurs mobilisé en deux temps :
  
  1. impressions à chaud au lancement,
     
  2. retours après une semaine d’usage (bugs, attentes, manque, avis éditoriaux).
     

Les retours mènent à des ajustements rapides :

• ajout d’un bouton mute demandé par un utilisateur,
  
• corrections de wording,
  
• résolutions de bugs critiques.
  

L’équipe de développement mobile reste entièrement mobilisée pendant plusieurs semaines pour absorber le flux de retours.

Résultats : une fonctionnalité utilisée, qui augmente la rétention

Un an après, les chiffres confirment l’intérêt du format :

• 8 % des vidéos consommées sur mobile sont des shorts,
  
• les utilisateurs de shorts passent 20 minutes en moyenne dans l’app
  (vs. 11 minutes pour les autres),
  
• taux de rétention ×2 pour les consommateurs de shorts.
  

La fonctionnalité remplit donc son rôle principal qui est de renforcer la fidélisation.

Un point d’attention demeure : l’entrée “Shorts”, dans la tab bar, est la moins cliquée. Ce sont surtout les mêmes utilisateurs qui y reviennent.

L’équipe produit a donc un nouveau défi qui est de rendre cette fonctionnalité plus visible et démarre donc un nouveau cycle produit : mises en avant sur la page d’accueil, meilleure découvrabilité, nouveaux parcours d’accès.

Conclusion

Le retour d’expérience d’Olivier Hoffschir illustre parfaitement la façon dont un produit peut naître d’une contrainte.

Ce projet rappelle que :

• une fonctionnalité simple côté utilisateur peut cacher une forte complexité interne,
  
• le chaos organisationnel fait partie du quotidien produit,
  
• un test en production peut fonctionner s’il est rigoureusement encadré,
  
• et qu’un format court, bien intégré, peut avoir un fort impact sur la rétention.

Derrière une vidéo verticale, c’est toute une organisation qui s’est alignée pour faire émerger. Selon les mots de Nietzsche : une étoile dansante ✨