School of Product 2023 - Cécile Désaunay : Repenser les produits et services à l'ère de la déconsommation

Fin août, le PDG de Carrefour a alerté sur le fait que les Français vivaient un "tsunami de déconsommation". Mais si ce tsunami était en réalité une marée lente composée de plusieurs vagues ? Et si c'était aussi une bonne nouvelle? Directrice d’études à Futuribles, une organisation indépendante consacrée à la prospective, Cécile Désaunay analyse les transformations de la société, des modes de vie et de la consommation depuis 15 ans. Elle est venue, lors de la School of Product 2023, décrypter les tendances actuelles de consommation et nous livrer quelques pistes de réflexion sur les modèles produits et services émergents.

Qu’est ce que la déconsommation ?

Commençons par la définition officielle de la déconsommation : tendance générale à consommer moins, par souci d’économie, mais aussi à acheter mieux et autrement, en vertu de préoccupations éthiques et environnementales (aspirations à la décroissance pour préserver les ressources de la planète, notamment). Dictionnaire Larousse

Pourquoi parle-t-on de déconsommation ?

Le concept de déconsommation est encore peu connu et souvent déformé. Pourtant, pour Cécile, nous sommes déjà pour partie dans l’ère de la déconsommation alors même que la consommation correspond à 60% du PIB.

Pourquoi fait-elle ce constat ? Depuis 10 ans, la consommation des ménages ralentit tout comme l’évolution du PIB. Nous ne sommes plus dans l’ère d’une croissance économique forte avec l’accroissement du niveau de vie. “L'imaginaire des 30 glorieuses est bien derrière nous. “

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Une particularité entre la consommation de produits et celle de services est notable sur les 2 dernières années. Le graphique ci-dessous montre qu’en base 100 la consommation des ménages augmente jusqu'en 2020. Puis la consommation de biens chute alors que les services continuent de croître. Peut-on en déduire que la déconsommation concernerait uniquement les biens matériels ?

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Les 4 causes principales de la déconsommation

Pour comprendre ce changement profond de consommation, Cécile nous dévoile les 4 facteurs sociétaux qui expliqueraient ce ralentissement de consommation. Le tout premier point est surprenant : “Plus on est vieux, moins on consomme”.

  1. Le vieillissement de la population

Les seniors correspondent à une population déjà équipée et qui renouvellent moins fréquemment leurs biens. Leurs habitudes en termes de consommation évoluent avec une faible consommation de viande, moins d’achat de vêtements. Cécile nous rappelle en complément qu’un quart de la population en France a plus de 60 ans en France.

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2. Une société saturée

La deuxième cause de déconsommation est corrélée au taux élevé d'équipement des ménages en France. Par exemple : qui a besoin de renouveler sa télévision tous les ans ? Et de 3 ou 4 télévisions chez soi ?

A cela, s’ajoute l’achat d’équipements portants plusieurs usages (exemple le téléphone qui fait photo, GPS et remplace plusieurs produits). Cette tendance à la baisse se constate dans différents secteurs : les ventes d'habillement, de meubles le prouvent. L'innovation ne suffit plus à inverser les courbes.

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3. Une déconsommation contrainte

La 3ème cause de déconsommation est en lien avec le contexte d’inflation actuel. On peut noter sur le graphique ci-dessous l’explosion de l’inflation depuis 18 mois. La hausse des prix est dramatique sur les postes de l’alimentation et de l’énergie et la privation des ménages de plus en plus forte.

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Or si les dépenses engagées chaque mois (loyer, facture de gaz, eau, forfait téléphone…), le revenu (salaire, allocations) des foyers augmente de moins en moins vite par rapport aux frais courants. Ces dépenses n’étant pas arbitrables, la part restante s’amenuise.
Le pouvoir d'achat des ménages les plus faibles est le plus impacté.

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Cécile met en avant une spécificité culturelle française : la méfiance et pessimisme vis-à -vis des entreprises entraînant une tendance à épargner plutôt qu'à consommer.

Elle déconstruit par la même occasion quelques idées reçues de notre représentation de la société française :

  • Seulement 45% des français travaillent (entre 18 et 102 ans)
  • 60% des ménages sont des personnes seules ou à 2

4. Une déconsommation volontaire

La 4ème raison de la déconsommation se révèlent lors d’enquêtes auprès de consommateurs :

  • Si la consommation a été un symbole de réussite sociale, on observe une bascule assez radicale. Elle est maintenant perçue comme une source de gaspillage.
  • La défiance vis-à-vis des grandes entreprises s’est accrue avec la perception qu’elles se font de l'argent “sur le dos” des consommateurs.

Les discours ont changé et même si les actes ne sont pas immédiats ils tendent à se retrouver dans les comportements quelques années plus tard (en témoigne la consommation du bio en 10 ans).

Quels sont les profils des consommateurs :

  • Presque 8/10 déclarent que la consommation responsable est importante quand seulement 20% des consommateurs répondent je m'en fiche / c'est pas mon sujet
  • Il existe malgré tout plusieurs catégories de consommateur en distinguant le consommateur qui fait ce qu’il peut de celui qui souhaite également réduire sa consommation.
  • Pour 60% de personnes la consommation responsable veut dire ne plus consommer de produits superflus.

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Cécile nous alerte sur le tournant dans la représentation de la consommation : l’hyper-consommation est remise en question.

Vers de nouveaux modèles ?

Fort de ces constats, est ce qu'il reste de la place pour créer de la richesse ?

Le neuf est en perte de vitesse :

  • Les ventes de smartphones neuf chutent de 20 millions en 2016 à 16 millions en 2020. On constate un engouement pour les smartphones reconditionnés qui s’explique par des motivations multiples (moins cher, sensibilisation à l’impact environnemental…).
  • Le constat est le même avec 3,5 véhicules d'occasion vendus pour un véhicule neuf aujourd’hui.

Pour réinventer de nouveaux équilibres et des modèles plus durables, l’économie circulaire propose de nouveaux modèles : le recyclage, mais aussi l’économie de fonctionnalité.

L’économie de la fonctionnalité a pour objectif de basculer un modèle économique de vente de biens neufs à la vente de services. Cécile nous partage 4 exemples de transformation de business model :

  1. L’entreprise Seb avec repareSeb : qui aide à repenser notre rapport aux équipements grâce à la maîtrise de toute la chaîne de produit et la facilitation de la réparation de leurs appareils.
  2. Philips : qui revoit son modèle et vend un service d'éclairage au lieu de rester sur la vente de produits
  3. La location de smartphone (Next, Fnac, …) : avec un service complet (mise à disposition du téléphone, réparation) et permet de proposer une alternative à l’achat d’un smartphone tous les 18 mois
  4. Décathlon et la location de matériel sportif

Conclusion

Cécile nous invite en clôture à repenser les imaginaires et le rapport à la consommation. Les spots publicitaires de l’Ademe interrogent en ce sens à l’occasion du black friday : "Si on inventait des dévendeurs ? "

Elle nous laisse sur un chiffre choc : “90% des français aimeraient vivre dans une société où la consommation aurait moins de place”

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Retrouvez le résumé des autres talks de l’édition 2023 de la School of Product dans le blog OCTO et le programme complet sur https://schoolofpo.com/