REX bilan carbone d'une ESN - Compte-rendu du talk de Alexis Nicolas à la Duck Conf 2021

le 02/04/2021 par Guillaume ROLLAND
Tags: Bonne Pratique

Le pitch : Vous repartirez avec des éléments de pédagogie sur le dérèglement climatique et les enjeux de décarbonation et leur impact pour une ESN (résultat et grandes secousses), des résultats et ordre de grandeur sur le bilan carbone d’une ESN, sur les difficultés, incertitudes et étendues de nos ignorances en matière d’impact environnemental du numérique. Enfin, nous vous proposerons des idées de mise en mouvement pour une ESN.

Alexis en pleine mue professionnelle, un peu à l’image d’OCTO dans une certaine mesure…

Qu’est-ce qu’un bilan carbone ?

C’est une simple comptabilité, avec des additions et des multiplications, dans laquelle on ne compte pas en € mais en kilos ou tonnes de CO2 équivalent (CO2e).

Tout flux physique nécessite de l’énergie (que ce soit marcher, envoyer un email, visionner du streaming) et donc émet des gaz à effet de serre (les fameux GES comptabilisés en CO2e).

La première question importante à se poser quand on souhaite faire son bilan carbone, c’est : par où commencer et où s'arrête-t-on ? Car actuellement beaucoup de monde en parle mais très peu mentionnent le périmètre.

La méthodologie qu’OCTO a utilisée est le Bilan Carbone ® sous tutelle de l’ADEME. Ce bilan est obligatoire pour toute entreprise de plus 250 personnes.

SCOPE 1 + SCOPE 2 contiennent globalement toutes les émissions énergétiques liées aux bâtiments et aux voitures détenus en propre, que ce soit des émissions directes (pétrole) ou indirectes (électricité).

SCOPE 3 n’est ni réglementaire ni obligatoire.

Chez OCTO, on a pris les 3 scopes.

Pourquoi prendre le CO2e comme indicateur ?

Le CO2e est à l’équilibre naturellement ; ce sont les activités humaines qui créent un déséquilibre car les gaz et pétrole sous-terrains se retrouvent sous une autre forme dans l’atmosphère.

Le cycle du carbone (source : www.lelivrescolaire.fr/page/3152817)

Les effets de l’augmentation de température ne sont pas linéaires. Alexis donne comme métaphore : “Quand on a de la fièvre : 1 degré ça va encore, 2 degrés je suis cloué au lit, 5 degrés je suis mort !****”

Tout le monde émet des gaz à effet de serre, qu’on le veuille ou non. Ainsi on peut le voir comme un jeu collaboratif, le plus grand escape game du monde avec pour enjeu de sortir tous ensemble des énergies fossiles. Dans ce jeu, si un joueur perd, tout le monde perd !

Qu’avons nous mis dans le SCOPE 3 chez OCTO ?

On a commencé par identifier tous les flux physiques qu’il est possible d’intégrer dans la méthodologie Bilan Carbone ©.

Synthèse des flux physiques. Ne cherchez pas le détail, tout a été intégré ;-)

Résultat & apprentissages

Résultat du bilan carbone d’OCTO sur 2019.

Voici les 3 grands enseignements qu’on en tire :

Enseignements & répartition des grands types d’émissions sous forme d’aires.

Les autres apprentissages :

  • les SCOPES 1 & 2 ne représentent que 3 % du total (comme si, dans un escape game, on ne pouvait explorer que 3% de la pièce : il nous manquerait donc 97% !)
  • toutes nos initiatives mises en place ces 2 dernières années (supprimer les touillettes et les canettes au 34, remplacer nos fournisseurs actuels par des fournisseurs plus éco-responsables, prolonger la durée de vie de nos appareils...) ne représentent que 2% du total !
  • la moitié des trajets en avion peuvent être réalisés en train en moins de 5 heures de trajet.

Comment se projeter ensuite ?

Alerte : ce qui suit risque de faire mal !

D’après vous, qu’implique le respect de non-dépassement des 2°C en 2100 par rapport à l’ère pré-industrielle ?

Réponse d’Alexis :

“Pour obtenir 5% de réduction de GES (gaz à effet de serre), en ordre de grandeur, dans le monde, il “faudrait” les effets d’une covid-19 supplémentaire par an… en prenant l’hypothèse de 3 mois de confinement en 2020, il “faudra” 6 mois de confinement en 2021, 9 mois en 2022, 12 mois en 2023, et en 2024 il faudra innover car on n’aura pas 15 mois !”

Pour atteindre cette réduction de 5% par an à OCTO, on a imaginé plusieurs scénarios assez extrêmes et même difficilement acceptables aujourd’hui en l’état. Verdict : il faut TOUS les appliquer !

Le résultat de la réflexion interne.

Tous les détails se trouvent dans notre article Bilan carbone façon OCTO : l’exploration continue et ça secoue !

Que fait-on après 2030 ?

Nous n’en savons rien à ce jour, car d’ici à 2030 nous aurons fait le plus simple, qui sera déjà difficile, et bien que nous y réfléchissions en interne chez OCTO, nos cerveaux et expertises ne suffisent pas, donc si vous avez envie de contribuer : partagez, écrivez, produisez et contactez-nous !

Les Take Away si vous n’avez pas fait votre bilan carbone

Que vous soyez une ESN ou une entreprise du tertiaire, ce que nous avons appris doit sans doute s’appliquer à vous. Voici nos conseils :

Les conseils d’OCTO pour réduire votre impact carbone.

Si vous ne savez pas ce qu’est l’éco-conception, renseignez-vous, formez-vous, OCTO peut vous y aider.

L’impact de l’usage des services numériques

Nous pensions que nous pouvions trouver facilement des réponses sur des sites comme The Shift Project, mais nous étions naïfs !

Nous avons dû créer notre propre modèle, à partir du modèle 1Byte du Shift Project, avec beaucoup d’hypothèses (le mix de services numériques délivrés en 2019, le nombre de sites web, d’utilisateurs…).

Nous avons inclus le cycle de vie (ACV), donc la quote part de fabrication des terminaux utilisés.

Autocritique du résultat obtenu de 1113 tCO2e :

1) ce résultat sous-estime fortement les émissions, c’est donc un minimum !

A ce stade nous n’avons pas cherché à aller plus loin, parce que c’est de loin le plus gros poste d’émissions à OCTO, à hauteur de 50% dans notre bilan carbone.

Même si c’était beaucoup plus gros, la conclusion resterait la même : il faut de toute façon se mettre sérieusement à l’éco-conception dans toutes les missions et dans tous les domaines (BlockChain, Big Data, Intelligence Artificielle, Cloud…)

2) ce résultat montre l’étendue de nos ignorances !

L’étendue de nos ignorances à OCTO.

La grande problématique qu’on voit : lorsque j’utilise mon appli bancaire, quelle quote part je vais affecter à l’appli dans la fabrication du terminal ? Est-ce un temps d’utilisation, un volume de données échangées ? etc. Pour notre modèle, nous avons utilisé un temps d’utilisation et pour le réseau un poids de données échangées. Cela reste très discutable.

La comptabilité carbone mesure des flux physiques et il est difficile de faire le lien entre les architectures logiques et physiques : on ne sait pas forcément où sont les serveurs, et le mix énergétique n’est pas le même aux USA, en Chine ou en France.

Avec cette photo de départ, le comité de direction OCTO a décidé d’inscrire dans la roadmap OCTO ce principe de réduction de 5% par an des émissions de GES d’OCTO.

Questionner les fausses évidences et tout réinventer

1)  Tuer le mythe de la dématérialisation du numérique : le numérique n’est pas dématérialisé, il a besoin de terminaux, de minerais, de data centers, d’infrastructure de réseaux, de transport…

2) Ralentir la croissance exponentielle du numérique en cours avant de chercher à réduire. Actuellement, sa croissance est de 9% par an (d’après un rapport du Shift Project) et est au même niveau que l'aviation civile : 4% des émissions GES dans le monde.

Il ne faut pas chercher à faire de la “compensation carbone” avant de s’attaquer aux racines du problème.

3) Réinventer nos métiers avec pour injonction de déployer la sobriété numérique.

Pendant trop longtemps, on a développé sans contraintes. Aujourd’hui la réalité écologique, autrement plus forte que la réalité économique, nous rappelle à l’ordre. Tout développeur et tout geek que nous soyons chez OCTO, il faut que nous nous réinventions, à l’aune de ces contraintes.

Pour aller plus loin, voici une source d’inspiration : le pitch de l’Octo Gabriel Adgeg “Soyons acteurs du développement (mobile) durable”.

Où en est OCTO aujourd’hui ?

OCTO change de l’intérieur pour que cela se voit à l’extérieur.

C’est trop tard pour les 12 excuses de l’inaction, Alexis conclut :

“Ce n’est que le début, si vous avez envie de jouer comme nous à ce grand escape game, vous êtes les bienvenus, en travaillant tous en commun et avec du jus de cerveau, on devrait y arriver !”

Retrouvez la présentation complète sur Slideshare.

https://www.youtube.com/watch?v=JMUCotczHR0

Résumé des Questions / Réponses

A l’issue du REX, une session de questions / réponses a eu lieu, moment très riche et avec beaucoup d’intérêt. Voici les principales questions & réponses :

Q1 : Combien de temps a-t-il été nécessaire pour ce premier bilan carbone ? et combien prévoyez-vous pour les prochains ?

→ En délai 5 mois avec une crise sanitaire au milieu, ce qui nous a ralenti, et en charge environ 20 jours côté OCTO et 15 jours d’un consultant carbone externe.

Q2 : On est actuellement en distanciel, est-ce que cela joue en notre faveur ? Et est-ce qu’il est pertinent de comparer pour chaque employé le bilan carbone “en présentiel” VS “en télétravail” ? Car en télétravail les serveurs fonctionnent à plein régime non ? Alors que quand il n’y a personne dans le bâtiment, il y a moins de chauffage.

→ Comparer “Télétravail versus présentiel” n’est pas si évident que ça. L’ADEME a publié une étude en indiquant notamment que le gain du télétravail n’était pas si élevé que cela à cause de nouveaux effets rebond (nouveaux déplacements, chauffage supplémentaire…). Là où on est certain d’un vrai gain, c’est quand on cumule télétravail ET réduction du nombre de m² par employé.

→ L’impact des locaux est relativement important dans notre bilan et pourtant l’immeuble d’OCTO (“le 34”) bénéficie de plusieurs certifications liées à la performance énergétique (HQE Exceptionnel, BREEAM® avec mention excellent ainsi que le label BBC Effinergie Rénovation).

→ Une conférence comme la Duck Conf en présentiel inclut dans notre calcul le transport des participants ; ainsi l’édition de cette année en 100% distanciel joue en notre faveur surtout que la plateforme qui a été utilisée est très peu consommatrice de bande passante.

Q3 : Vous mentionnez un bilan carbone d’OCTO uniquement, avez-vous fait le calcul pour Accenture ?

→ Pour Accenture France, notre travail les a motivés et c’est en cours.

Q4 : Dans beaucoup de contextes client, les personnes travaillant en ESN ont un ordinateur fourni par le client plus un fourni par l'employeur. Est-ce que l'impact sur le bilan carbone est important ? Est-ce qu'on peut trouver des architectures (équivalent zero trust) pour permettre le travail dans un réseau client avec des machines "not trusted" ?

→ Il est certain qu’éviter d’avoir 2 ordinateurs et 2 téléphones par personne est bénéfique pour le climat, donc il s’agit d’une piste à creuser. Pour avoir un ordre d’idée, en vision ACV (Analyse de Cycle de Vie) un ordinateur représente entre 100 et 300 kg de CO2e dans l’atmosphère, et un smartphone entre 60 et 150 kg.

→ Il faut mieux investir sur des architectures permettant de favoriser le BYOD (Bring Your Own Device).

Q5 : Bien souvent on change de terminal mobile car les apps sont de plus en plus gourmandes ou parce que la version d'OS ne permet plus le lancement des apps, est-ce important ?

→ En effet il s’agit d’un sujet important et sur lequel on réfléchit très sérieusement. Nous sommes loin d’être exemplaires à ce jour mais il s’agit clairement d’une piste qui s’impose à tous, OCTO et ailleurs.

Q6 : A-t-on fait le bilan carbone des crypto-monnaies ? Cf l’autre talk "Tour d'horizon des algorithmes de consensus en 2021"

→ Il est assez connu que le bitcoin est très mauvais car il utilise l’approche "proof of work" (PoW ou preuve de travail) contrairement à d'autres crypto-monnaies qui sont beaucoup moins énergivores car elles ont misé sur le “proof-of-stake” (PoS ou preuve d’enjeu).

→ Mais la vraie question à se poser serait plutôt de se demander “à quel cas d’usage répond cette technologie ?” Qu'est-ce qu'elle remplace ? Qu’est-ce qu’elle ajoute ? Cela s'étudie donc par l'usage.

Q7 : Nous allons de plus en plus vers le cloud et là c'est la catastrophe : le coût du stockage est trop faible et le choix est forcément d'archiver et de ne jamais supprimer les données. Qu’en pensez-vous ?

→ La réduction de stockage sur le cloud permet avant tout d’éviter que Google & consort ajoutent trop rapidement des disques durs à leur data center. Car il faut se rappeler qu'en supprimant des mails dans notre boite Gmail, Google ne supprime pas un disque dur au final. Nettoyer nos stockages de données dans le cloud est donc un enjeu pour ralentir la croissance exponentielle actuelle.

→ Il existe des études chiffrées en impact carbone pour l’usage des données dans le cloud (par exemple 1 email de 1 Mo émet entre 10 et 20 gCO2e), mais actuellement ces études sont encore peu matures. Cela pourrait être largement amélioré notamment en intégrant la fabrication des terminaux et des serveurs.

Q8 : Concernant les sites web et applications, d’un côté il y a l'éco-design et de l’autre les aspects cyber-sécurité et continuité... difficile de placer le curseur, non ?

→ Il est possible de faire des sites web intéressants qui peuvent apporter beaucoup de valeur sans forcément qu'ils fassent plusieurs gigas. Il y a donc bien des arbitrages à faire entre le volume de données nécessaire et les contraintes SI pour retrouver dans le développement d’un site web ou d’une application, la prise en compte des contraintes environnementales.

→ Ce qui nous arrive en ce moment est plutôt joyeux car il faut réinventer nos métiers d'ingénieur en privilégiant l'éco-conception et arrêter le "prêt-à-penser" et les réflexions monolithiques.