ici). Cette définition est la suivante : de petites améliorations par chacune chaque jour. Comme l’explique Michael Ballé dans son ouvrage « Lead With Lean », 100 améliorations successives de 1% sont préférables à une amélioration de 1%. Tout d’abord parce que les mathématiques sont intraitables et que 100 améliorations successives d’1% donnent une amélioration cumulée de 167%. Mais surtout parce que cela représente 100 opportunités d’apprentissage pour les collaborateurs de l’entreprise : une stratégie très concrète pour développer cette entreprise apprenante que de nombreux dirigeants appellent de tous leurs vœux.
“Nous sommes dans un contexte favorable.” précise Meriem Riadi. Le DSI précédent a lancé les premières expérimentations Lean dès 2020. Six équipes ont déjà été accompagnées avec, à chaque fois, des résultats très prometteurs en termes d’amélioration de la satisfaction client, de l’engagement des collaborateurs et de la performance opérationnelle : lire les REX ainsi que l’entretien avec Marc Demougeot, le prédécesseur de Meriem dans notre livre blanc « Culture Kaizen – la transformation de petits matins ».
Lors de son arrivée fin 2022, Meriem Riadi souhaitait ancrer cette transformation dans les pratiques managériales : elle nous demande alors de l’aider à lancer un accompagnement de son CoDir avec trois axes de travail :
Ces pratiques sont, dans un second temps, déclinées au niveau des domaines métiers :
C’est sur ces bases que nous allons nous appuyer pour lancer notre dispositif.
Jusqu’à présent, nous avons mené trois types d’accompagnement au sein de cette organisation :
Le point clé qui va nous permettre de pivoter sur un accompagnement plus large est le suivant. Plutôt qu’accompagner une équipe sur plusieurs problèmes opérationnels nous allons privilégier une approche orthogonale : accompagner plusieurs équipes sur un même problème opérationnel.
Ce problème opérationnel sera à choisir parmi les trois sujets clés définis dans les OKR, en lien avec la vision de la direction générale :
Maintenant que nous avons vu l’idée pivot autour de laquelle nous allons organiser ce nouveau dispositif, regardons dans le détail ses trois constituants essentiels.
Une fois trouvée la perspective clé pour accompagner un grand nombre d’équipes, il nous faut constituer le dispositif. Pour cela, nous allons nous appuyer sur une notion originelle du Kaizen : les Cercles Kaizen (Masaaki Imai parle aussi de Cercle Qualité).
Ces Cercles ont pour objet de regrouper des personnes qui viennent de plusieurs équipes pour travailler ensemble sur un sujet commun.
En nous inspirant des ateliers Kaizen que nous menons dans l’accompagnement Équipe, nous proposons d’intégrer en ces Cercles 4 binômes, représentant chacun une équipe. Chaque Cercle travaille sur un des trois problèmes évoqués dans la section précédente : réduction du volume entrant d’incidents ; amélioration du volume de résolution d’incidents et demandes ; amélioration du delivery.
Chaque binôme du cercle est accompagné par un coach durant les 90 minutes de la session hebdomadaire. Les premières 75 minutes sont consacrées au travail sur le A3 (voir section suivante) et les 15 dernières minutes au partage de l’avancement avec les autres binômes. Nous souhaitons ici favoriser un partage transverse des problématiques et une prise de recul.
Enfin, chaque Cercle dispose d’un sponsor qui est membre du CoDir. Ce sponsor a trois rôles :
Notons que comme les cercles sont composés d’équipes venant de différents domaines, les sponsors n’ont pas nécessairement de lien hiérarchique avec les équipes impliquées dans le Cercle.
Là encore, nous nous reposons sur un outil standard du Lean : le A3. Ce document est le support de ce que Toyota appelle la Toyota Business Practice, la démarche structurée de l’entreprise autour de la démarche scientifique de résolution de problème (le Plan Do Check Act – PDCA - de Deming et Shewart).
Vu rapidement, ce standard peut être considéré comme un simple template. Il s’agit pourtant d’un outil d’une puissance méthodologique rare en ce qu’il structure la réflexion et la démarche de résolution de problème. Son nom vient du format (impression sur une feuille A3). Cette contrainte invite à l’esprit de synthèse et aller à l’essentiel. Cela nécessite un temps de préparation long afin qu’il soit facilement compris et ingéré lors de sa présentation (la fameuse citation de Pascal : je vous écris cette longue lettre car je n’ai pas le temps d’en écrire une plus courte).
Le A3 est structuré autour des 8 sections suivantes :
Cette démarche qui peut sembler simpliste impose une importante rigueur de réflexion et d’action : c’est là que réside la clé de son succès.
Tout au long des Cercles Kaizen, les binômes sont accompagnés dans leur travaux et dans la capitalisation de leurs apprentissages dans cette feuille de synthèse. C’est ce même document qui sera présenté au terme du travail sur le sujet.
Ce qui nous amène au point #3 : la durée de vie de ces cercles
Ce troisième et dernier pilier du dispositif est inspiré par cette notion SAFe (Scaling Agile Framework) d’incrément produit (ou PI : Product Increment). L’objectif est que l’ensemble des Cercles travaillent sur un même rythme : ils démarrent la même semaine et se terminent la même semaine. Ce qui permet d’organiser chaque saison une restitution de l’ensemble des A3 (des sujets d’amélioration, donc) à l’ensemble du CoDir et des managers concernés.
Pour la durée de la saison, là encore nous nous appuyés sur ce que nous faisons lors des accompagnements équipe : 8 semaines. Cela permet d’avoir un rythme soutenu et d’éviter un délitement de la mobilisation des collaborateurs.
Lors de la présentation de ce comptoir (7 novembre) nous sommes à la fin de la troisième saison de 8 semaines. Voici le calendrier de 2024.
Un autre élément du dispositif à souligner (qui n’est pas évoqué dans la présentation) est celui du suivi de la performance opérationnelle par les Responsables de domaine. Chaque semaine elle ou il se retrouve avec ses managers opérationnels (le Chapter Lead dans cette organisation) pour passer en revue les indicateurs liés au OKRs :
Ce point de 45 mns permet de suivre ces indicateurs qui sont ensuite agrégés pour chaque domaine dans l’Obeya de management. Les sujets discutés sont ceux du pilotage Lean :
Au terme des 8 semaines de la saison, l’ensemble des binômes présentent à leurs managers et au CoDir les A3 qui ont été réalisés. Cet exercice de 7 minutes de présentation (et 3 minutes de question) leur permet en outre de travailler l’esprit de synthèse et la capacité d’avoir une présentation avec impact : problème posé sous forme d’écart chiffré ; présentation du processus standard ; cible ; causes racines identifiées ; contre-mesures et résultats.
Le format de résolution de problème est similaire à celui du storytelling : un problème rencontré dans la vie courante ; la vision que l’on souhaite atteindre : l’identification des obstacles à surmonter ; la confrontation avec le problème ; l’apprentissage. Cela permet, lors de cette cérémonie de clôture de la saison, d’avoir des présentations courtes, avec impact et engageantes.
Incidemment, le DG Veolia Eau France était présent lors de la restitution de la Saison S03 et celui-ci a pu exprimé en direct aux opérationnels qui présentaient leur sujet sa grande satisfaction sur leurs initiatives et leurs résultats.
Un premier résultat important à noter est celui du nombre d’équipes et de manager embarqués sur l’année.
L’histogramme suivant présente cette évolution sur 4 ans sous forme d’histogramme (au 7 novembre 2024).
On peut constater l’impact de l’embarquement du CoDir en 2023 sur le nombre de managers impliqués. De la même manière on peut observer l’évolution du nombre d’équipes intégrées sur l’année du déploiement avec une progression très significative de ce nombre. Cela atteste de la puissance d'entraînement de ce dispositif et de la surface organisationnelle impliquée dans la démarche.
Le deuxième résultat qui nous intéresse est celui du nombre d’équipes qui sont parvenus à la cible qu’elle se sont données au terme de leur Kaizen :
Bien évidemment le taux de réussite n’est pas de 100% mais comme l’explique Meriem Riadi, même les équipes qui ne sont pas parvenues à atteindre cet objectif ont creusé le sujet, développé des apprentissages très spécifiques sur leur contexte et ont pratiqué le geste.
Quelques exemples de causes à la non-atteintes de la cible donnée :
La question que nous nous sommes posée au terme de la première saison portait sur la capacité des équipes à maintenir le niveau de performance opérationnelle.
Voici le statut en début de Saison S03 sur le suivi de la performance à six mois pour les équipes de la Saison S01, et à trois mois pour les équipes de la Saison S02 :
Voici quelques exemples de résultats consolidés pour les équipes de la Saison S01:
Kaizen sur les projets (Build)
Quatre équipes de Build sur les quatre engagées en Saison S01 ont soutenu l’effort :
Pour ce qui est du choix des indicateurs, je vous invite à vous reporter à l’article Regard Lean sur la productivité des équipes de développement logiciel.
Kaizen sur le Run
Cinq équipes sur les sept engagées sur les sujets Run (support) ont soutenu l’effort sur la réduction du volume entrant d’incidents (6 mois avant vs. 6 mois après) :
Exemple de A3
Voici l’exemple du A3 menée par une équipe sur la partie Build. Suite au Kaizen elle est passée de 56% de taux d’engagement moyen à 952% (nombre d’US livrées Vs prévues par sprint) et de 14 US livrées par sprint à 18.3.
Note du coach
Lors des restitutions de ce sujet nous constatons un élément intéressant : il s’agit rarement de contre-mesures spectaculaires ou géniales. Parfois il ne s’agit simplement que de standards agiles que l’équipe a pu tester et dont elle a pu mesurer l’impact : s’assurer que les US respectent la Definition of Ready ; tester les US en flux tout au long du sprint plutôt que faire un batch de test pour la release tous les 3 sprints ; clarifier les critères d’acceptance dans les US. Aussi, l’assistance peut parfois rester sur sa faim : il n’y a pas de trouvailles géniales.
Mais ce n’est pas la solution que nous recherchons dans le Kaizen. Ce n’est pas le produit de leur Kaizen qui nous intéresse mais la démarche. La réflexion rigoureuse organisée autour de la pensée scientifique empirique qu’incarne le Plan Do Check Act : analyse de cause, expérimentation de contre-mesures, mesure du résultat et apprentissage. Voir les collaborateurs expliciter leur démarche et comment celle-ci leur a permis d’aboutir à des résultats concrets et solides : voilà l’immense satisfaction du coach Lean.
Dans sa Keynote de clôture lors du Lean Digital Summit 2015, Steven Bell, l’auteur de l’ouvrage source Lean IT - Enabling and Sustaining your Lean Transformation expliquait que le meilleur moyen de passer le Lean à l’échelle dans une direction Tech était de passer à l’échelle la “pensée A3” : voilà exactement ce qui a été fait durant cette première année d’ expérimentation.
Au terme de la Saison S03, 34 équipes ont été accompagnées et 45 le seront au global sur l’année 2024 : l’objectif de Meriem consistant à passer à l’échelle la “pensée Lean” est en ce sens atteint, avec une majorité des équipes qui a obtenu des résultats significatifs. Pour celles pour qui cela n’a pas été le cas, cela représente tout de même une belle opportunité d’apprentissage sur la méthode et le regard particulier qu’apporte le Lean sur la traque des gaspillages et le focus sur la valeur client.
Un second enseignement remonté est le fait que le Lean représente un challenge pour la ligne managériale. En effet, avec cette approche l’ensemble de l’organisation va porter une attention soutenue à la performance opérationnelle, chaque semaine, pour comprendre les écarts ainsi que les impacts des kaizen. Cette performance devient alors un outil pour mesurer les apprentissages de l’organisation ainsi que les nouveaux problèmes à instruire afin de mieux servir les clients et graduellement libérer les collaborateurs des gaspillages.
Les managers savent bien entendu construire des tableaux de bords pour piloter l’activité depuis un niveau plus macro, mais ce que l’on veut dans le Lean c’est limiter le nombre d’indicateurs suivis, en s’assurant que ceux-ci font du sens pour le client, et les suivre de près chaque semaine. Ce qui peut parfois être perçu comme du micro-management n’est en fait qu’une grande attention portée aux petits apprentissages du quotidien. Une transition d’un pilotage des coûts (gestion du budget) à un pilotage de la valeur (“qu’est-ce qu’on livre au client aujourd’hui et cette semaine ?”) qui se voit au fait que si les équipes maintiennent le niveau de performance acquise 6 mois après les Kaizen menés, nous constatons que celle-ci s’améliore guère par la suite.
Le dernier enseignement est celui des collaborateurs et de l’identification des “problem solvers” dans l’organisation. Le Lean a pour vocation de développer l’apprentissage, l’autonomie et le leadership des collaborateurs. La CIO peut ainsi voir les leaders de demain qui se saisissent de nouveaux sujets et sur qui elle pourra se reposer pour construire une entreprise plus centrée sur l’utilisateur et plus performante. Il s’agit d’une grande satisfaction pour l’exemplarité et le sens que cela apporte à l’entreprise.
Sur une note plus personnelle, Meriem retient 3 points. En premier lieu, la puissance du Lean pour obtenir des résultats concrets et à l’échelle. Ensuite cela met en valeur la capacité de progrès des équipes : la CIO exprime ainsi cette perspective selon laquelle l’entreprise est sans limite à ce sujet : les progrès personnels constatés en 2023 et 2024 sont très significatifs. Enfin Meriem observe que cela instille une culture de la transparence, une meilleure cohésion d’équipe et une culture commune plus forte. L’organisation par domaines métiers donne beaucoup de réactivité par rapport aux métiers et aux enjeux business ; en revanche elle a tendance a un peu siloter l’organisation et créer des cultures peu homogènes. Le Lean permet de rapprocher ces cultures.
Voici le lien de l’enregistrement de ce comptoir.
Comment faites-vous pour passer l’amélioration et les apprentissages à l’échelle de votre organisation ?