Quelques explications sur la théorie d'évolution de Simon Wardley
Cet article fait partie d'une série consacrée aux cartes de Wardley.
Il fait suite à l'article d'introduction global intitulé : "Devriez-vous lire cet article sur les cartes de Wardley ?".
Ce texte est conçu comme un document explicatif.
Il vise à approfondir le thème de la théorie de l'évolution, qui a été brièvement abordé dans l'article d'introduction mentionné plus haut.
Cette théorie est intéressante pour analyser une carte et pouvoir naviguer efficacement.
Cependant, les informations fournies ici ne permettent pas d'appliquer directement cette théorie de l'évolution.
Il s'agit en quelque sorte d'un petit guide de survie dans l'univers de Simon Wardley.
Un second article, plus concret, illustrera comment la théorie évoquée ici peut aider à traiter un problème dans son intégralité.
Si vous êtes déjà familier avec la théorie de l'évolution, vous pouvez passer directement à la lecture du second article.
La structure de cet article est la suivante :
- Bref rappel du principe des cartes de Wardley, en soulignant la nécessité de comprendre le paysage.
- Zoom sur la théorie de l'évolution telle que modélisée par Wardley.
- Détail des caractéristiques de deux zones de la carte : l'espace exploratoire et l'espace industriel.
Le besoin de comprendre le paysage
Les cartes de Wardley sont un outil favorisant la prise de décisions stratégiques.
Elles tirent leur origine des travaux de Simon Wardley, aboutissant à cette représentation d'un cycle stratégique.
La base de ce cycle est la phase d'observation, ancrée dans la notion de paysage.
Le paysage est représenté par une carte: une représentation imparfaite en deux dimensions d'un paysage spécifique.
La carte
Voici le canevas d'une carte de Wardley:
Comme nous l'avons évoqué, c'est un espace bidimensionnel, dont l'axe vertical représente une chaîne de valeur construite à partir des besoins et l'axe horizontal un axe d'évolution.
Cet article n'a pas pour vocation d'expliquer comment construire une carte. Au besoin, je vous invite à consulter cet autre article ou encore la version française (en cours de traduction) du livre de Simon Wardley ici.
Je vais donc seulement détailler l'axe horizontal (le seul axe réel de la carte), essentiel à la compréhension des concepts exposés par la suite.
> I only have one axis - the value chain is actually the chain itself. I wish I had two but the "value chain axis" is simply scaffolding to help beginners map by pointing out a direction for visibility. - Simon Wardley on Twitter
L'axe d'évolution (horizontal)
L'axe horizontal est au cœur de la prise de décision stratégique.
C'est un concept modélisé par Simon Wardley pour représenter le parcours de toutes activités, pratiques, connaissances ou données, soumises au processus de banalisation qui se découpe en quatre phases temporelles.
Brève histoire de la théorie derrière ce concept
En élaborant son système de carte, Simon Wardley avait pleinement conscience du concept d'évolution mais n'avait pas de moyen clair pour le décrire, notamment pour comprendre pourquoi et comment l'innovation se produisait.
Les courbes de diffusion d'Everett Rogers, illustrant l'adoption dans le temps, montraient certaines incohérences : une activité n'évoluait pas de façon linéaire ; elle adoptait plutôt différents motifs de diffusion à mesure de sa maturation.
Certitude et matrice de Stacey
La Matrice de Stacey a apporté le maillon manquant. Cet outil est utilisé pour analyser la complexité des décisions dans le cadre de la gestion de projet.
Elle est définie par deux axes : le degré d'accord sur ce qui doit être fait (sur l'axe horizontal) et le degré de certitude ou de prévisibilité des résultats (sur l'axe vertical).
Simon Wardley a été particulièrement intéressé par l'axe de la "certitude". Ce concept semblait en lien avec la façon dont les activités évoluent.
La courbe de l'évolution
Suite à une phase de recherche intensive en 2006 et 2007, s'appuyant sur un ensemble de données, Wardley a formalisé le modèle d'évolution.
Cette courbe met en relation l'ubiquité (à quel point une action est courante) avec la certitude.
Au cœur de cette courbe, il y a l'interaction entre la compétition d'offre et de demande.
Voici les caractéristiques qui rendent la courbe d'évolution unique en son genre:
Elle est basée sur les données : La courbe d'évolution n'est pas seulement un concept ; elle est soutenue par des milliers de points de données, ce qui fiabilise le modèle.
Contrairement aux courbes d'adoption où les délais varient, cette courbe maintient une cohérence sur les deux axes.
Elle est alimentée par la causalité plutôt que par la corrélation : ce qui alimente ce modèle est la compétition, tant en termes d'offre que de demande, et non pas une simple corrélation entre les points de données.
Bien qu'elle offre une certaine prévisibilité, il est crucial de comprendre que ce modèle n'est pas jamais précis temporellement.
De cette courbe d'évolution est né l'axe d'évolution de la carte de Wardley.
La courbe de l'évolution est une représentation du mouvement des marchandises dans le temps en fonction de leur omniprésence (ubiquité) et de la certitude de leur valeur dans l'économie (sous ensemble de la société)
Cet axe présente le modèle suivant :
tous les éléments de la carte passent d'un stade I (labellisé "genèse") à un stade IV (commodité), traversant les phases II (produit personnalisé) et III (produit sur étagère) ou bien disparaissent en cours de route. Ce mouvement se produit sous l'impulsion de l'offre et la demande.
Référence: On mapping and the evolution axis sur le blog de Simon Wardley
Les espaces de la carte
À présent que nous avons établi les fondements de la carte, intéressons-nous à l'analyse de son contenu.
Pour bien comprendre le contenu d'une carte, il est essentiel de saisir l'impact de la position des composants sur celle-ci.
La position verticale est assez simple à appréhender : elle concerne l'agencement des composants fortement liés à la chaîne de valeur (comme le mentionne Simon Wardley dans la citation précédente : l'axe est la chaîne elle-même).
La position des composants sur l'axe horizontal revêt une signification plus vaste. En effet, tous les points se situant dans une même zone partagent des caractéristiques communes.
Selon Simon Wardley, ces zones peuvent être regroupées en deux parties :
- L'espace commençant à la gauche est un espace exploratoire, qu'il nomme "uncharted".
- L'espace qui clôture la carte à droite est un espace industriel, ou "industrialised".
Examinons désormais les spécificités de ces espaces.
Espace exploratoire (Uncharted)
C'est l'endroit où n__aissent de nouvelles idées, produits ou services.__
Dans cet espace, l'incertitude est élevée, et il est difficile de prévoir ce qui fonctionnera et ce qui échouera, cependant le potentiel de valeur est plus élevé..
Ce qui caractérise les éléments de cet espace sont:
- Un risque élevé.
- Une forte incertitude.
- Un besoin d'innovation rapide.
- Une difficulté à standardiser.
Par exemple, l'invention du premier smartphone c'était quelque chose de totalement nouveau, sans certitude de réussite.
Dans cet espace, il est essentiel d'expérimenter rapidement, d'échouer vite pour apprendre et d'adapter continuellement les approches.
Espace industriel (Industrialised):
À l'opposé de l'espace exploratoire, l'espace industriel concerne des produits, services ou technologies qui sont bien compris, largement acceptés et standardisés.
Dans cet espace, on cherche à optimiser l'efficacité opérationnelle (le cost of doing business).
Parmi les caractéristiques que possèdent les éléments de cet espace on trouve:
- Un risque faible eu égard aux décisions prises.
- Une prévisibilité élevée.
- Une plus faible marge (du fait de la concurrence et de la standardisation).
- Une orientation vers de la production en masse.
La fabrication de PC est un bon exemple. Bien que l'ordinateur personnel ait été une innovation majeure à ses débuts, la production et la distribution de PC sont désormais largement standardisées.
Dans cet espace, il est essentiel de rechercher des efficacités, de réduire les coûts et d'optimiser les processus.
Résumé sur un canevas
Nous venons de voir deux parties: exploratoires et industrielles. Ceci facilite le discours.
Néanmoins, chaque stade d'évolution est en soit un espace qui dispose de caractéristiques propres.
Nous identifions alors 4 zones permettant de modéliser les caractéristiques des éléments qui s'y trouvent.
Ben Moisor a proposé un résumé des caractéristiques par espace que je vais reprendre ici:
On notera ainsi que :
Le marché des développements en phase I est encore inconnu et deviendra mature au fur et à mesure de son évolution.
L'échec sera de moins en moins toléré. Pensez aux versions logicielles Alpha, Beta ou stable, par exemple. Vous tolériez qu'un PC plante en 1995, mais il serait intolérable que votre smartphone plante en 2023.
On recherche de la valeur future en investissant dans l'innovation, tandis que dans l'espace industriel, on vise à réduire les marges et à optimiser les coûts. La distribution est un bon exemple de cela.
Il est plus facile de comparer des commodités entre elles que des innovations.
L'ensemble des caractéristiques est à retrouver dans l'antisèche de Wardley dont vous trouverez une copie sur ce site.
Conclusion
Dans cet article, nous avons fourni une explication détaillée concernant la théorie d'évolution de Simon Wardley, un élément central des cartes de Wardley.
Cette théorie est particulièrement pertinente car elle permet de définir avec précision les caractéristiques des espaces exploratoires et industriels, deux zones essentielles à la compréhension d'une carte.
Grâce à ces éclaircissements, nous avons jeté les bases pour une analyse approfondie des cartes de Wardley.
Dans un prochain article, nous explorerons comment, en prenant ces éléments comme un canevas, il est possible de décrypter une carte établie spécifiquement pour aider à la prise de décisions stratégiques plus éclairées.