Mettez un ACE à votre transformation !
Comment repenser la collaboration entre la Direction, le Management et les Opérationnels dans le cadre d’une transformation majeure ?
Depuis des années, je travaille avec de nombreux clients "historiques" qui cherchent à se réinventer et faire évoluer leur culture pour s’adapter de plus en plus rapidement à leur(s) marché(s), recruter de nouveaux talents, etc. Je vais vous livrer ici mes premières analyses et des éléments/pistes de réflexion sur la méthode ACE pour accompagner des entreprises dans leur transformation.
"Lorsque l'environnement externe bouge plus vite qu'en interne, la fin est proche" - Jack Welch (ex DG General Electric)
Mes clients ont, pour la plupart, lancé des grands programmes de transformation en mode "rouleau compresseur" avec des méthodes de gestion du changement classiques qui souffrent malheureusement des mêmes constats :
- Un changement à marche forcée sans "état d’âme" qui se soucie peu du bien-être ni de la motivation des collaborateurs ;
- Un sentiment d’incompréhension vécu par "ceux qui font réellement les choses" car leurs propositions et considérations sont peu prises en compte au détriment de jeux de pouvoir et politiques internes ;
- Des équipes de Direction trop souvent déconnectées de la réalité du terrain qui n’expriment pas, sans tabou, leurs vraies intentions.
- etc.
En effet, j’ai souvent observé sur le terrain qu’entre la pression de la Direction (pour répondre entre autres aux exigences de rentabilité vis-à-vis des actionnaires) et la résistance des Opérationnels face à ces schémas de transformation classiques, le Middle Management est souvent frustré. Ce dernier étant très souvent pris en étau, et a du mal à se positionner dans l’organisation, d’où un certain nombre de freins à tout nouvel effort :
- Une fatigue des équipes de Direction qui envoient des messages qui se diluent au fur et à mesure que ces derniers descendent les étages de l'organigramme ;
- Un découragement des Opérationnels par le peu de retours par rapport aux suggestions qu'ils envoient à leur hiérarchie ;
- Une perte de maîtrise, de sens et d’autonomie de ceux qui font au quotidien au profit d’une organisation contrôlante et déresponsabilisante qui inhibe toutes initiatives de changement et les prises de risques ;
- Un manque d’exemplarité du top management qui demandaient à ses employés de changer alors qu’ils n’arrivaient pas à changer eux-mêmes !
- etc.
En plus de mes expériences personnelles, j’ai lu de nombreux ouvrages et publications sur comment les entreprises devraient traiter cette problématique de transformation. Parmi ce que j’ai pu lire, j’ai également senti que la composante Humaine n’était pas “réellement” prise en compte et que le middle management était considéré comme un mal nécessaire sur lequel on ne pouvait malheureusement rien faire.
J’ai eu l’occasion de lire l’ouvrage intitulé “Conduire le changement avec la méthode ACE” (Philippe Dumé, David Briggs, Saad Bennani, Hervé Borensztejn). Ce dernier arrive à :
- Conjuguer intelligemment les valeurs fondatrices de l’agilité ;
- Remettre l’Humain au centre ;
- Briser enfin les plafonds de verre entre la Direction, le Management et les Opérationnels ;
La méthodologie présentée invite tous les collaborateurs à se remettre en cause personnellement et agir dans l’optimum global de l’entreprise tout en gardant du plaisir dans ce que l’on fait, en progressant sans cesse, etc. Cette méthodologie se focalise sur trois piliers pour réussir le changement :
- Un nouveau mode de travail plus collaboratif, avec une nouvelle répartition des rôles et responsabilités entre tous les niveaux de l'entreprise afin d'obtenir un engagement plus fort de l'ensemble des collaborateurs vers une stratégie commune ;
- Un rythme de transformation qui permet l'alignement des collaborateurs sur la stratégie à suivre, les ressources mises à disposition et la volonté d'avoir une démarche d'amélioration continue pour que l'entreprise corresponde aux évolutions de marchés et puisse réagir rapidement en cas d'erreur ;
- Le développement d'une culture libérante et épanouissante qui assure la cohésion, la confiance et le développement des collaborateurs pour résoudre les problèmes les plus complexes, tout en leur donnant les moyens de se sentir valorisés ;
Cet article se veut être une synthèse de cette méthode et des fondamentaux associés.
Les principes de la méthode ACE (Assimiler, Créer, Engager)
L'un des avantages de la méthode ACE consiste à exprimer et faire valoir le besoin d'avoir une nouvelle forme de contribution de la part de l'ensemble des collaborateurs à chacune des phases de la transformation.
Dans une approche classique, une démarche de transformation consiste la plupart du temps à définir une stratégie et à la mettre en place à petite échelle, avant de la déployer par Ia suite au reste de l'organisation en cas de succès. La mise en œuvre de ces phases est clairement segmentée entre les différents niveaux de l'entreprise :
- La Direction définit la stratégie ;
- Le Management la met en place ;
- Les Opérationnels appliquent les règles ;
La méthode ACE s'appuie sur une nouvelle répartition :
- Définir une stratégie partagée par tous ;
- S'impliquer en équipe dans la première mise en place ;
- Donner de l'autonomie pour assurer le déploiement ;
Cette nouvelle répartition des rôles au sein de l'organisation permet aux opérateurs et aux managers d'être contributeurs à la stratégie. C’est la même chose pour la Direction : les dirigeants ne sont plus uniquement dans un rôle de Direction mais deviennent aussi des contributeurs actifs d'une équipe plus globale chargée de mettre en œuvre la transformation.
Ainsi, la stratégie n'est plus l'apanage de la Direction uniquement, la transformation n'est pas que l'affaire du Management et l'exécution n'est pas que le travail des Opérationnels ! Chaque phase est partagée et co-construite de bout en bout. Pour tous les collaborateurs (quel que soit leur niveau), cette approche va leur donner un vrai moyen d'expression de leur envie d'être acteurs dans l'organisation et le soutien permanent de leur hiérarchie.
De cette manière, tous les collaborateurs évoluent ensemble dans les mêmes espaces de réflexions et d’actions, plutôt que d’évoluer dans un système où les liens hiérarchiques forts engendrent une dispersion des efforts et sont parfois même sources de conflits. Nous sommes donc dans un travail d’équipe au sens large qui bouscule les modes et les codes traditionnels de fonctionnement de l’organisation, et qui peut aller jusqu’à une remise en cause personnelle profonde.
Les 3 grandes phases
Phase 1 : Assimiler
Elle conduit à la construction d’une stratégie partagée afin de rassembler les idées de chacun et identifier les points de blocage. Elle part du terrain et elle est forcément appuyée et étayée par des faits tangibles réels. Cette phase est une énorme source d’échanges, de contributions et d’apprentissage entre tous les niveaux de l’organisation.
Les objectifs | |
Pour la Direction | - Comprendre l'organisation en son cœur et sans filtre<br>- Passer le message selon lequel les choses sont différentes par un nouveau positionnement<br>- Être capable de remettre en cause en profondeur son équipe et soi-même sur la base des observations naïves réalisées sur le terrain |
Pour le Management | - Être en mesure d’exprimer ses ambitions et ses craintes pour l’entreprise<br>- Se sentir écouté et soutenu par la Direction en amont des actions qui seront à mener<br>- Comprendre que son rôle et son interaction avec le reste de l’organisation vont être différent |
Pour les Opérationnels | - Se sentir valorisés en exposant leurs idées et en contribuant ainsi à la stratégie de l’entreprise<br>- Sentir que les équipes de Direction et de Management, qui sont engagés à leurs côtés, sont plus accessibles<br>- Commencer à comprendre qu’ils deviennent des acteurs de leur lieu de travail |
Le point le plus saillant de cette phase est que la Direction envoie un message fort à l’entreprise en sortant de sa “tour d’ivoire” et de sa zone de confort pour se confronter à la réalité du terrain. En changeant lui-même ses codes et ses usages, la Direction va susciter de nouvelles réactions et pousser les collaborateurs à changer également. Qui plus est, leur implication va permettre de prendre des premières décisions opérationnelles très rapidement pour lever un ou plusieurs freins pouvant être liés à la lourdeur administratives des processus internes…
Le Management pourra aussi exprimer toutes ses attentes et craintes pour l’avenir de l’entreprise et identifier les facteurs clés de succès par rapport aux échecs passés.
Ces mécanismes simples et pragmatiques sont appliqués depuis longtemps dans les projets de delivery agile via les démarches UX emphatiques qui visent à donner la parole aux utilisateurs / clients finaux. Pourquoi perdons-nous cette approche dans le cadre d’une transformation de fond qui nous impacte collectivement et personnellement plus durement ?!
Phase 2 : Créer
Elle permet de s’assurer avec le Management que les ressources sont bien allouées, en particulier via le lancement d’un ou plusieurs pilotes selon le périmètre de la transformation à conduire. Il s’agit de passer de la stratégie aux premières actions concrètes en ré-allouant avec agilité les ressources financières et surtout humaines.
Les objectifs | |
Pour la Direction | - S’assurer que le Management a véritablement compris la mission qui lui était confiée<br>- Reboucler avec les Opérationnels pour leurs montrer que leurs suggestions lors de la phase précédente ont bien été prises en compte<br>- Créer un climat de confiance grâce au soutien et à la confiance accordés aux équipes |
Pour le Management | - Avoir tout le soutien nécessaire pour bien comprendre la nouvelle stratégie et la décliner correctement<br>- Avoir la confiance et donc le droit à l’erreur pour pouvoir véritablement entreprendre<br>- Commencer à se positionner différemment pour transmettre son savoir-faire aux opérationnels pour qu’ils puissent déployer la stratégie de la manière la plus autonome possible |
Pour les Opérationnels | - Se sentir valorisés par la considération de leurs suggestions dans la définition puis dans la mise en œuvre de la stratégie<br>- Avoir la possibilité de partager leurs expériences avec la Direction Général en tant qu’équipiers<br>- Se sentir rassurés par la présence de la hiérarchie alors que l’entreprise entre dans une phase de transformation |
Dans cette phase la Direction est toujours autant impliquée de manière opérationnelle dans la première mise en place de la stratégie, aux côtés du Management et des Opérationnels : elle reste toujours dans une position de “Doer” plutôt qu’inspecteur des travaux finis. L’implication personnelle de la Direction sur le terrain renforce le sentiment d’appartenance et envoie un message fort à toute l’organisation sur le fait si la Direction arrive à changer, alors l’entreprise peut changer elle aussi ! A ce stade il peut devenir très intéressant de positionner les membres de la Direction comme “simples” membres d’équipes.
De son côté, le Management est convaincu de la nécessité de changer et retranscrit sa passion dans des actions qui inspirent les Opérationnels. Ils continuent également de réaffirmer le droit à l’erreur sans lequel le progrès ne peut avoir lieu.
Phase 3 : Engager
Elle permet le déploiement et l’amélioration continue des processus mis en place dans le cadre de la transformation. Elle nécessite la responsabilisation maximale des Opérationnels (les salariés) qui doivent être acteurs sur leur espace de travail.
Les objectifs | |
Pour la Direction | - Continuer d’incarner une référence qui dirige l’entreprise<br>- Avoir plus d’agilité opérationnelle en donnant davantage d’autonomie au management et aux Opérationnels<br>- Prendre du recul pour penser à la prochaine évolution stratégique |
Pour le Management | - Démultiplier l’effet de la transformation par la prise en charge au niveau des Opérationnels<br>- Développer un nouveau type de management fondé sur la confiance, la facilitation et le coaching<br>- Faire évoluer sa fonction et son rôle dans lequel il était auparavant confiné |
Pour les Opérationnels | - Gagner en autonomie et en satisfaction au travail, et donc être plus motivés et plus performants<br>- Mettre en place au moins une partie de leurs idées d’amélioration<br>- Être contributeurs de la stratégie au travers de leurs expériences au quotidien |
Les 9 étapes sous-jacentes pour rythmer la transformation
Chacune des phases présentées se découpent en 3 étapes distinctes pour insuffler du rythme et cadencer la transformation.
Phase 1 - ASSIMILER
- S’immerger : comprendre véritablement le cœur de l’organisation avec les opérationnels et leur passer des premiers messages essentiels sur l’importance de leur contribution
- Coacher : accompagner le management vers une nouvelle manière de travailler car son rôle est primordial dans cette démarche pour être capable d’animer la mise en place de la transformation tout en formant les opérationnels vers davantage d’autonomie
- Projeter : définir une stratégie avec une équipe de Direction alignée et dont les modes de fonctionnement traditionnels vont être profondément remis en cause, avec une meilleure compréhension de la capacité de l’organisation à se transformer et des évolutions de l’environnement compétitif
Phase 2 - CRÉER
- Partager : échanger sur la stratégie définie dans la phase 1 avec l’ensemble des collaborateurs, une étape cruciale de transmission pour un premier passage à l’action
- Planifier : définir le déroulement opérationnel de la transformation à venir, à travers un plan d’actions visible, motivant et engageant pour l’ensemble des personnes impliquées
- Valider : confirmer les leviers définis dans la stratégie à travers des chantiers pilotes dans lesquels l’état d’esprit entrepreneurial doit être plus important que les critères de sélection des pilotes
Phase 3 - ENGAGER
- Déployer : généraliser les chantiers pilotes à toute l’organisation, via les Opérationnels, afin de garantir une meilleure appropriation de la nouvelle manière de travailler
- Améliorer : mettre en place une démarche d’amélioration continue pour faire la différence, à la fois dans la résolution des problèmes inhérents à un déploiement et pour trouver des supplémentaires afin de perfectionner les nouveaux processus, services ou produits
- S’approprier : promouvoir les retours d’expérience quant à la nouvelle approche organisationnelle et mettre en place le cycle suivant d’amélioration
“Tous les modèles sont faux mais certains sont utiles”
Vous vous en doutez bien, il n’existe aucune recette miracle éprouvée qui permette de garantir la réussite d’une transformation organisationnelle, culturelle et Humaine profonde. Cette méthode ACE est une clé de lecture complémentaire intéressante sur laquelle nous pouvons nous inspirer.
De mon point de vue et issue de mes retours d’expérience, si je devais retenir quatre éléments saillants de la méthode ACE, ce serait :
- Être exemplaire (surtout au niveau du Top Management)
- Embarquer dès le départ le management et les opérationnels dans les réflexions
- Tester, itérer, apprendre et créer dans un climat de confiance
- Former et coacher ses collaborateurs pour les accompagner dans leur transformation professionnelle et personnelles
Mon take away n°1 : Être exemplaire (surtout au niveau du Top Management)
L’être humain fonctionnant très souvent en mimétisme de ses pairs, il sera impossible d’entamer une transformation si le Top Management ne sait pas se remettre en question et montrer qu’il est en train d’évoluer lui-même. En résumé cela reviendrait à dire “Faites ce que je dis, pas ce que je fais”.
Mon take away n°2 : Embarquer dès le départ le management et les opérationnels dans les réflexions
Le changement ne peut être efficace que si toutes les parties prenantes collaborent ensemble. Il n’est pas réservé à une poignée d’élites, bien au contraire, c’est l’affaire de tous pour donner du sens. Une stratégie est d’autant plus forte si elle est partagée par tous et si elle remet en question des fondamentaux qui ne peuvent pas être vus depuis un siège social !
Par ailleurs, la valorisation de ses collaborateurs est tout aussi fondamental. Il n’y a rien de plus frustrant quand on donne son avis et des pistes d’amélioration qui ne sont pas pris en compte sans qu’on explique pourquoi. Le fait d’inviter la Direction à revenir voir ce qu’il se passe sur le terrain permet de casser les silos et nouer un premier lien de confiance avec le middle management et les Opérationnels en vue des transformations à venir, à travers l’écoute des remarques des opérationnels sur les forces et les faiblesses de l'organisation, ainsi que leurs idées d'amélioration, aussi bien sur leur quotidien que sur l'entreprise elle-même.
Mon take away n°3 : Tester, itérer, apprendre et créer dans un climat de confiance
Favoriser le droit à l’erreur en toute circonstance est une des clefs de voûte de toute transformation puisqu’elle développera la prise d’initiative, favorisera l’amélioration continue et la confiance entre tous les niveaux hiérarchiques de l’organisation. L’avancée par petits pas permet d’apprendre plus rapidement et de maîtriser les risques à chaque instant.
Mon take away n°4 : Former et coacher ses collaborateurs pour les accompagner dans leur transformation professionnelle et personnelles
Chaque évolution de la culture, de l’organisation… va avoir des impacts forts sur les salariés. Les former et les aider à franchir de nouveaux paliers seront clés pour insuffler une vraie dynamique de changement interne et maintenir un haut niveau de motivation.