L’administration électronique sera-t-elle Made in USA ?
Depuis plus d’une dizaine d’années, l’administration a lancé un ensemble de chantiers lui permettant d’entrer dans l’ère numérique. A leur rythme, nos différents ministères, collectivités et organismes d’état ont informatisé leurs procédures : renouvellement de papiers, création d’entreprise, déclarations fiscales … ces télé-procédures ont répliqué les processus existants, en les dématérialisant. Utilisées par la moitié des français , elles se heurtent aujourd’hui aux mêmes limites que les entreprises privées avec leur informatique : faire plus de la même chose ne créera que peu de valeur supplémentaire. Nous pouvons optimiser le système de télé-déclaration fiscale, mais cela ne résoudra pas les aberrations et parfois les dysfonctionnements liés à l'organisation des circuits de traitement de la chaîne fiscale, qui va du calcul au recouvrement de l'impôt. De même pour nos systèmes électroniques de santé, qui peinent à faire mieux collaborer médecine de ville, hôpitaux, ou pharmacies.
Alors au fond quel est le problème ? Il me semble que deux contraintes majeures pèsent sur l’émergence de systèmes d’information qui transforment les services publics au plus grand bénéfice des usagers et des personnels administratifs.
La première est l’approche « tout ou rien », qui impose de délivrer dès le départ un service uniforme sur tout le territoire. Cette volonté « égalitaire » nuit aux nécessaires expérimentations de systèmes qui engagent le plus souvent de difficiles réformes d’organisation. Cette approche « nous devons tout prévoir du premier coup » est relayée par le code des marchés publics, et la lenteur des cycles qu’il impose. Impossible dans ce contexte d’embaucher une équipe stable pour lui faire délivrer un système qui se construit peu à peu avec ses premiers utilisateurs … Ce sont pourtant les méthodes qui permettent d’innover de la manière la plus fluide.
La seconde relève de notre peur du « grand fichier », de la nécessaire protection de la vie privée. Pour avoir participé à de nombreux échanges sur service-public.fr, la posture « tout est interdit, tout est cloisonné » s’oppose aux nouveaux usages communautaires engageant à plus de partage et d’interopérabilité. Après avoir dépensé des sommes colossales pour un système d’authentification ultra-complexe à base de certificat, le ministère des Finances a finalement rebasculé vers un procédé plus classique, identique à Facebook, ma banque ou à l’Intranet de mon entreprise. Mais au-delà de l’authentification, ce sont toutes les données manipulées qui subissent interdiction et cloisonnement. Vous pouvez voir ma photo sur LinkedIn, mais pour l’administration, c’est encore un secret d’état.
Mais pendant ce temps, des acteurs privés, essentiellement américains, se lancent sans ces deux contraintes, dans des systèmes permettant aux citoyens et aux agents administratifs de partager, échanger et collaborer dans des réseaux sociaux de « service public ». San Francisco ouvrant ces données (datasf.org) ou Google Health offrant un Dossier Médical Personnalisé pour mieux le partager en toute sécurité avec ses proches et ses soignants, nous montrent une voie inédite, qui nous permettrait peut-être de « percer le plafond » avec nos Technologies de l’Information.
L’administration est donc à un tournant : soit elle décide qu’il est important qu’elle possède et gère ses systèmes électroniques, et elle devra alors faire sauter les deux contraintes qui l’empêchent de les délivrer, en revisitant notamment sa politique de construction et de sécurisation. Soit elle décide d’utiliser ces fournisseurs comme facteurs externes de modernisation, mais en l’assumant et en l’encourageant.
Et vous, que choisiriez-vous ?