Les grands groupes devraient-ils s’inspirer des startups ?
On entend régulièrement parler de la vitesse incroyable à laquelle la technologie évolue depuis quelques années. On parle beaucoup moins de tout ce qui entoure cette technologie dans les entreprises, que ce soit l’évolution de la méthodologie, des process de gouvernance, de la culture d’entreprise. Pourtant, ces éléments sont déterminants et font partie intégrante de l’adoption de la technologie dans une entreprise. Ces nouveaux modèles sont souvent portés par des startups, plus innovantes et plus réactives que des entreprises installées depuis des décennies et qui ont déjà des centaines (voire des milliers) de salariés.
Ce que l’on entend à la machine à café de grands groupes par des salariés qui parlent de startups est intéressant. On y entend parler de l’agilité de ces petites structures, de leur réactivité face au marché, de leur inventivité débridée, de leur manque de process, de leur liberté ; au final d’une culture d’entreprise plus jeune et réactive face aux besoins qu’ils détectent et auxquels ils répondent rapidement. Lorsqu’on est une startup, c’est d’ailleurs une question de survie.
Mais ce qui fait le propre d’une startup est-il réellement réservé aux entreprises de petite taille qui sont suffisamment jeunes pour créer cette culture de la réactivité et de l’inventivité ? Les grandes entreprises sont-elles incapables d’évoluer pour s’adapter (le propre de la survie) ? Comment peuvent-elles profiter de l’expérience des startups pour évoluer ?
La réalité des grands groupes
Les grands groupes sont souvent comparés à de gros paquebots : robustes, peu sensibles aux petites vagues mais difficiles à manoeuvrer. Modifier leur cap résulte d’un travail de longue haleine qui implique forcément un grand nombre de personnes, si possible avec une vision commune, sous peine de ralentir encore ce changement de direction.
Les grands groupes rencontrent souvent des difficultés communes :
- un cloisonnement des Business Units (BU) qui crée de la distance entre les compétences disponibles au sein d’une même entreprise
- une culture basée sur la répartition des rôles et des responsabilités plutôt que sur la responsabilisation des individus
- des process lourds, impliquant un cycle de décision long et de nombreuses personnes, parfois avec des intérêts divergents
Cette distance au sein d’une même entité n’est pas forcément une conséquence de la distance qui sépare les individus mais souvent du cloisonnement virtuel qu’on se crée au sein de son entité, de ses projets… le manque de centralisation et de communication mène naturellement à un manque de capitalisation et d’échange des expériences, voire même à des doublons en terme de projets et/ou de poste.
Globalement, la capitalisation est un sujet d’actualité au sein de toutes les grandes entreprises. Cela reste un casse tête qui n’a encore que rarement trouvé de solution satisfaisante et appliquée par tous les salariés. La capitalisation demande une discipline de chacun qui doit investir du temps pour que les prochains projets (pas forcément les siens) gagnent en efficacité.
Est-ce une question de taille ou de culture ?
Ceux qui se posent la question des nouveaux modes de gouvernance la lie souvent à la question de la taille de l’entreprise. Jusqu’à quelle taille peut-on envisager un modèle holacratique (no manager, no ego) ? A partir de quel moment les silos sont-ils inévitables ?
Une entreprise comme Buffer (outil de social media management) a grandi avec un modèle holacratique. Passée de moins de 10 salariés à plus de 50, l’entreprise a toujours été un exemple extrême d’entreprise holacratique, au point d’abandonner ses locaux pour favoriser la collaboration internationale et de jouer la carte de la transparence totale en publiant en temps réel les données financières de son activité (https://buffer.baremetrics.com/). Pourtant, selon Joel Gascoigne (fondateur et CEO de Buffer), la gouvernance de son entreprise n’est pas liée à la question de la taille. C’est avant tout une question de culture initiée dès les débuts de l’entreprise. Une entreprise comme Google, qui compte environ 55 000 salariés, a développé une très forte culture et, bien que son modèle ne soit pas holacratique, elle favorise les initiatives personnelles et entretien la culture de la collaboration trans-entités au sein de l’entreprise.
Zappos (environ 2 000 salariés) à décidé d’entamer une transformation globale en mai 2015 pour passer sur un modèle holacratique. L’objectif étant de responsabiliser l’ensemble des salariés à travers des projets transverses de l’entreprise.
Le point commun entre ces entreprises est qu’elles ont à la fois su créer une culture d’entreprise et la conserver (avec quelques adaptations) durant leur croissance. C’est d’ailleurs un point essentiel de leur recrutement; Zappos se distingue encore une fois dans ce domaine en proposant un package de 2 000 $ aux salariés qui mettent fin à leur période d’essai, facilitant ainsi la prise de décision des nouvelles recrues hésitantes sur leurs nouvelles fonctions. Globalement, dans ces startups, les candidats sont attirés par une entreprise dont l’ambiance sera agréable (voire bienveillante) et qui favorisera l’écoute et, indirectement, la reconnaissance.
Pure players vs classiques : l’exemple du eCommerce
L’eCommerce a déjà 20 ans et le rapport entre eCommerce et retailers est en perpétuelle évolution. Après une phase ou les retailers ont délaissé l’eCommerce, cela fait quelques années qu’ils déploient une stratégie de vente en ligne.
On pourrait sans doute penser que le fonctionnement d’un pure player est assez similaire à celui d’un retailer qui vend en ligne et pourtant, ce sont deux entreprises qui n’ont rien à voir. Les pure players ont, dès leur origine, eu un besoin de réactivité propre au eCommerce et se sont structurés en fonction; alors que les retailers ont considéré l’eCommerce comme une extension de leur activité existante, en y appliquant les mêmes processus et la même gouvernance. Il en résulte un cycle décisionnel plus lourd et plus lent que des entreprises plus agiles.
Il y a fondamentalement une différence de gouvernance entre des jeunes entreprises qui fonctionnent souvent en “test and learn” et des entreprises plus installées qui héritent de leur passé des process de contrôle et de mise en production plus lourds.
Les pure players ont défini des process qui leur permettent à la fois une production et une recette rapide, une mise en production fréquente et un rollback facilité.
Les retailers classiques de leur coté ont à faire face à des responsabilités qui vont souvent au delà du site web. Les modifications du site, qu’elles soient technique sou non, peuvent avoir des implications sur l’ensemble du réseau de distribution et font donc peser une complexité plus importante sur les évolutions envisagées.
Les exemples sont nombreux et connus : Zalando ou Etsy laissent une grande autonomie à leurs équipes et ont des process de mise en ligne très rapides, permettant d’en réaliser plusieurs par jour, de tester puis d’arbitrer (pour des raisons techniques ou commerciales) si telle ou telle fonctionnalité doit rester en ligne ou disparaître.
Une gouvernance mixte, la solution pour gagner en réactivité et en capacité à innover ?
Si le modèle des startups semble très attractif lorsqu’on le présente, il est surtout le fruit du contexte particulier d’entreprises jeunes et à forte croissance où la gouvernance excessive crée des difficultés importantes alors que des entreprises plus importantes ont besoin de cette gouvernance pour s’assurer de la stabilité.
Mais pourquoi forcément les mettre en opposition ?
La question de la gouvernance est généralement posée de façon unilatérale : tout le monde doit fonctionner sur le même mode de gouvernance. C’est donc celui qui a le plus de contraintes qui les imposera à l’ensemble de l’entreprise; ça revient à participer à une course d’équipe en ne courant qu’à la vitesse du plus lent de l’équipe.
La solution se situe peut-être justement dans un fonctionnement asymétrique de l’entreprise, certaines équipes travaillant de façon “classique”, et d’autres avec une gouvernance plus légère et des méthodes qui tendent à les rendre plus autonomes et réactives face aux besoins du marché ou, simplement, à l’application de leurs idées (et potentiellement aux innovations).
Comment mettre en application la formule magique ?
Il est délicat pour une entreprise d’acter une telle transformation qui touchera à la fois la culture de l’entreprise, son mode de fonctionnement, sa gouvernance…
Plutôt que d’enclencher une révolution, inspirons-nous des startups pour nous rapprocher de leur fonctionnement : test and learn.
La première étape serait de valider ces changements par la pratique, non pas au niveau global mais en démontrant que les forces vives de l’entreprise sont compétentes pour réaliser ce changement avec un effort raisonnable et motivées pour faire évoluer leur mode de travail.
La mise en place d’une équipe tirée des forces vives de l’entreprise, motivée par l’amélioration de ses pratiques, dont l’objectif serait de réaliser un projet avec une gouvernance qui lui est propre, permet de valider la capacité de ces équipes à s’adapter à un nouveau mode de fonctionnement et à en tirer le meilleur. Ca sera le point de départ qui prouvera par la pratique que l’entreprise peut adopter de nouveaux modes de gouvernance et de réalisation en adaptant sa culture et ses process.