Les biais cognitifs et le storytelling
L’art de raconter des histoires, ou storytelling, est un outil essentiel pour les professionnels du produit. Il permet de véhiculer des idées, de captiver les équipes et de susciter l’engagement des parties prenantes. Cependant, il est essentiel de comprendre que nos biais cognitifs peuvent influencer la manière dont nous percevons et racontons ces histoires. Dans cet article, nous allons explorer l’impact des biais cognitifs sur le storytelling et partager des conseils pour y faire face.
Racontez-vous réellement l’histoire de vos utilisateurs ?
Disclamer : La différence entre attitude et biais cognitif
Il est important de souligner que cet article se concentre spécifiquement sur les biais cognitifs dans le contexte du storytelling. J’ai choisi de ne pas aborder la question de l’attitude dans la psychologie sociale, car elle se situe dans un domaine légèrement différent, bien qu’étroitement lié aux biais cognitifs.
Les attitudes se réfèrent aux évaluations générales, aux sentiments et aux opinions que nous avons envers une personne, un objet ou une situation. Elles peuvent être influencées par des facteurs cognitifs, émotionnels et sociaux. Les attitudes peuvent jouer un rôle dans le processus de storytelling, mais elles ne sont pas le principal sujet de cet article.
En revanche, les biais cognitifs se réfèrent aux erreurs systématiques dans notre façon de traiter l’information. Ce sont des mécanismes de pensée qui peuvent nous conduire à des interprétations et des jugements erronés, indépendamment de nos attitudes personnelles. Dans le contexte du storytelling, les biais cognitifs peuvent affecter la façon dont nous percevons, interprétons et racontons les histoires.
Il est donc important de noter que cet article se concentre sur des biais cognitifs spécifiques, tels que le biais narratif, le biais de confirmation, le biais d’ancrage et le biais de disponibilité, et sur la manière dont ils peuvent influencer le processus de storytelling.
Maintenant que nous avons clarifié cette distinction, continuons à explorer les différentes façons de reconnaître et de gérer ces biais cognitifs dans le storytelling.
Prenons l’exemple de Didier, un Product Owner chez AgileCompany. Didier a pour tâche d’interviewer Sophie, une utilisatrice de leur solution de gestion de paiement en ligne. Il veut comprendre comment Sophie utilise le produit, ses habitudes, ses frustrations et ce qu’elle apprécie. L’objectif de Didier est de relayer l’expérience de Sophie de la manière la plus fidèle possible à son équipe.
Didier, à cause de son biais de confirmation, pourrait mal interpréter l’expérience de Sophie. Par exemple, si Sophie rencontre une difficulté lors de l’utilisation du produit, Didier, avec son biais de confirmation, pourrait attribuer ce problème à une lacune de compétence de Sophie, alors qu’il s’agit en réalité d’un problème de conception du produit. Cette mauvaise interprétation pourrait conduire à des décisions inappropriées, comme une formation pour Sophie au lieu d’une amélioration du produit.
Bien sûr d’autres biais peuvent également être concernés.
Biais concernés
Plusieurs biais cognitifs peuvent influencer notre storytelling. Outre le biais de confirmation mentionné plus haut, d’autres biais comme le biais d’ancrage, le biais de disponibilité ou le biais narratif peuvent également entraver notre objectivité.
Biais narratif : Le biais narratif est la tendance à préférer les informations présentées sous forme d’histoire plutôt que des faits isolés. Cela peut conduire à une simplification excessive de la réalité et à une interprétation biaisée des événements. Dans l’histoire de Didier et Sophie, ce biais peut se manifester par une focalisation excessive sur les aspects négatifs de l’expérience de Sophie lors de l’étape de paiement, ce qui pourrait conduire Didier à négliger les aspects positifs.
Biais de confirmation : Le biais de confirmation est la tendance à rechercher, interpréter et privilégier les informations qui confirment nos croyances préexistantes. Dans l’histoire de Didier et Sophie, comme cité plus en haut, Didier pourrait être victime de ce biais en interprétant les difficultés de Sophie comme étant liées à un manque de compétence de sa part, simplement parce que cela correspond à sa croyance préexistante sur les utilisateurs.
Biais d’ancrage : Le biais d’ancrage est la tendance à trop se fier à la première information reçue lors de la prise de décision. Dans l’histoire de Didier et Sophie, ce biais peut se manifester si Didier se concentre uniquement sur le premier problème que Sophie a mentionné lors de l’étape de paiement, sans prendre en compte les autres aspects de son expérience.
Biais de disponibilité : Le biais de disponibilité est la tendance à accorder plus de poids aux informations qui sont facilement disponibles à notre esprit. Cela peut conduire à une surestimation de l’importance ou de la fréquence d’un événement en se basant uniquement sur des exemples mémorables. Dans l’histoire de Didier et Sophie, Didier pourrait succomber à ce biais en se basant uniquement sur l’expérience de Sophie, sans tenir compte des expériences des autres utilisateurs.
Trucs, astuces et outils pour s’en prémunir
Pour contrer ces biais, voici quelques stratégies que Didier pourrait utiliser :
- Poser des questions puissantes : Didier pourrait poser à Sophie des questions ouvertes pour mieux comprendre ses motivations et besoins. Par exemple : “Qu’est-ce qui vous a le plus frustré lorsque vous avez utilisé notre produit ?”
- Utiliser un langage précis et sans jugement (clean langage): Lorsque Didier raconte l’histoire de Sophie à son équipe, il devrait utiliser un langage clair et objectif pour éviter d’introduire des biais involontaires. Par exemple, plutôt que de dire “Sophie a du mal à utiliser le produit”, il pourrait dire “Sophie a rencontré un problème lors de l’étape de paiement”.
- Rechercher la diversité des perspectives : Didier pourrait également chercher à obtenir des points de vue différents sur l’expérience de Sophie en interviewant d’autres utilisateurs ou en sollicitant les retours de son équipe.
- Effectuer des interviews en binôme : Pour atténuer les biais individuels, Didier pourrait mener l’interview avec un collègue. Cela favoriserait une discussion et une réflexion plus approfondies.
En utilisant ces outils, voici comment Didier pourrait augmenter l’objectivité de son storytelling en élevant progressivement son niveau de conscience concernant ses biais cognitifs :
Histoire initiale (niveau de conscience : faible)
Didier, un Product Owner chez AgileCompany, recueille le témoignage de Sophie, une utilisatrice de leur solution de gestion de paiement en ligne. Didier rapporte : “Sophie a rencontré une difficulté lors de l’étape de paiement, ce qui l’a rendue frustrée. Elle a mentionné que notre produit n’est pas intuitif et nécessite une expertise technique pour l’utiliser.”
Ici, Didier a raconté une histoire basée sur les faits, mais avec une interprétation influencée par le biais de confirmation : il a interprété le problème comme étant dû à l’absence d’intuitivité du produit et à la nécessité d’une expertise technique, confirmant une croyance préexistante que le produit est complexe.
Histoire après prise de conscience du biais de confirmation (niveau de conscience : moyen)
Après avoir pris conscience de son biais de confirmation, Didier reformule l’histoire : “Sophie a rencontré une difficulté lors de l’étape de paiement. Elle a mentionné que notre produit pourrait être plus intuitif. Cela pourrait indiquer que nous devons revoir la conception de cette étape pour la rendre plus facile à comprendre et à utiliser.”
Ici, Didier a réussi à réduire le biais de confirmation en se concentrant davantage sur les faits et en évitant de tirer des conclusions hâtives.
Histoire après prise de conscience des biais narratif et d’ancrage (niveau de conscience : élevé)
Ayant pris conscience des biais narratif et d’ancrage, Didier revoit encore l’histoire : “Sophie a eu du mal à comprendre l’étape de paiement. Cependant, elle a apprécié la rapidité du processus une fois qu’elle a compris comment il fonctionnait. Nous pourrions améliorer notre produit en rendant cette étape plus claire.”
Ici, Didier a évité le biais narratif en ne se concentrant pas uniquement sur les aspects négatifs de l’histoire de Sophie, mais aussi sur les aspects positifs. De plus, il a évité le biais d’ancrage en ne se concentrant pas uniquement sur le premier problème rencontré par Sophie, mais en considérant l’expérience dans son ensemble.
Histoire après prise de conscience du biais de disponibilité (niveau de conscience : expert)
Finalement, ayant pris conscience du biais de disponibilité, Didier raconte l’histoire comme suit : “Sophie a rencontré une difficulté lors de l’étape de paiement, mais elle a aussi apprécié la rapidité du processus une fois qu’elle a compris comment il fonctionnait. Cela a été confirmé par plusieurs autres utilisateurs. Nous devons donc travailler sur la clarté de cette étape tout en préservant sa rapidité.”
Ici, Didier a évité le biais de disponibilité en ne se basant pas uniquement sur l’histoire de Sophie, mais en cherchant également des confirmations auprès d’autres utilisateurs.
Histoire finale (état de l’art)
Armé de tous les outils et astuces pour contrer les biais cognitifs, voici comment Didier pourrait raconter l’histoire : “Après avoir interviewé Sophie et plusieurs autres utilisateurs de notre solution de gestion de paiement en ligne, nous avons observé une tendance : la difficulté à comprendre l’étape de paiement. Cependant, une fois cette étape maîtrisée, les utilisateurs apprécient la rapidité du processus. Notre défi est donc d’améliorer la clarté et l’intuitivité de cette étape sans compromettre sa rapidité. Pour ce faire, nous allons organiser une série de pair interviews et de tests utilisateurs pour identifier les zones d’amélioration.”
Ainsi, en étant conscient de ses biais et en utilisant des outils pour les atténuer, Didier a pu raconter une histoire plus objective et précise, qui va servir de base solide pour l’amélioration du produit. C’est là tout l’art du storytelling : raconter une histoire qui résonne avec les utilisateurs et qui guide efficacement les efforts de l’équipe produit.
Conclusion
Il est important de noter qu’il est impossible d’éliminer complètement nos biais cognitifs. En effet, nous sommes tous influencés par notre propre perspective et nos expériences. Cependant, en étant conscients de ces biais et en utilisant les outils et stratégies mentionnés ci-dessus, nous pouvons minimiser leur impact sur notre storytelling.
En fin de compte, l’objectif n’est pas d’éliminer complètement nos biais, mais de travailler avec eux. C’est en comprenant nos propres biais, et ceux de nos utilisateurs, que nous pouvons raconter des histoires qui résonnent vraiment avec notre public. Et c’est ainsi que nous construisons ensemble l’histoire d’un produit.
Il est essentiel de partager cette prise de conscience avec tous les membres de l’équipe. Après tout, le storytelling est un effort collectif, et c’est ensemble que nous pouvons créer des histoires qui ont un impact réel.