Le portefeuille un organe de stratégie et de projection

Après des années de transformations agiles que ce soit au niveau des équipes ou des organisations, de plus en plus d’entreprises se tournent vers la gestion de portefeuille (sous plusieurs noms et formes). Les mises en place que nous observons sont souvent la réponse choisie pour faire de la priorisation opérationnelle de “projets” pour éviter la surcharge d’équipes et de budget. Trop souvent cette priorisation porte sur la maîtrise des coûts sans prise en compte de la stratégie globale et la valeur produite.

Effectivement, les implémentations dans plusieurs entreprises (Banque, Luxe, Télécom) sont orientées exécution avec toujours cette relation Business-IT du type : “nous demandons, vous exécutez". Mais avec le recul, un défaut majeur est mis en lumière : le manque d’alignement autour d’une vision et d’une stratégie commune. Sans stratégie commune, les portefeuilles continuent à aligner les demandes sans donner du sens et de la cohérence.

Dans cet article je vais tenter de vous partager mon analyse à ce jour et les quelques pistes à explorer pour aller plus loin. Je vais commencer par parler de ce qui fait une bonne stratégie pour aller ensuite sur le lien entre stratégie et exécution.

Construire une vision stratégique commune

Qu’est ce qu’une stratégie ?

Dans nos accompagnements, nous remarquons qu’il y a souvent confusion entre les objectifs d’une entreprise et sa stratégie.

Vos objectifs peuvent être “D’élargir vos activités sur une zone géographique”, “de conquérir un nouveau marché”, “d’avoir des prix concurrentiels avec une qualité de service égale" … si vous êtes à court d’idées vous pouvez toujours lancer un “Améliorer le NPS (Net Promoter Score)”. C'est important de ce fixer des objectifs, mais ils ne représentent pas une stratégie.

Avant de parler de stratégie, il est important de définir ce que l’on entend par ce mot. D’après Michael Porter la stratégie, c'est "la définition d’un ensemble d’activités uniques vous permettant de construire votre proposition de valeur". C’est la réponse aux questions “Qu’allons faire autrement pour construire notre proposition de valeur ?”, “Quels sont nos forces et faiblesses actuelles et comment allons nous les utiliser ?”.

Exemples

Pour l'un de nos clients start-up  clients l’objectif est de "toucher des plus petits clients" et les axes stratégiques : “Réduire les coûts d'acquisition”, “donner de l'autonomie au client pour les opérations récurrentes”.

Pour google la stratégie est de “c_onstruire une approche centrée IA pour consolider un lead autour du machine learning_”.

Pour Ikea c'est “d’avoir un design permettant un coût de fabrication faible et une facilité de transports et stockage”. … et pour finir celle d’OCTO : “Développer une communauté d'experts de la transformation digitale, à la pointe des pratiques collaboratives à la fois en conseil, formation et delivery ”.

L’importance de l’alignement

Pour revenir à notre sujet des portefeuilles, la première difficulté est celle de construire un alignement d'un collectif business-IT autour d’une stratégie. Permettez-moi d’insister sur les mots “Alignement” car en demandant aux individus de manière séparée, on retrouve souvent des éléments stratégiques intéressants. L’exercice se corse quand il s’agit de construire une histoire commune. Ceci est dû d’une part à la structure de l’organisation en silos qui séparent les différentes entités (Commerciales, Marketing, Opérations, etc.); avec chacune ses propres objectifs. D’autre part, l’opérationnel quotidien fait qu'il y a un manque de temps à consacrer à la stratégie.

Relier la stratégie à l'exécution :

Strategy without execution is the slowest route to victory, and tactics without strategy is the noise before defeat.” – Sun Tzu from “The Art of War”.

Une fois la stratégie définie, la deuxième étape est celle de construire la tactique nécessaire à l'exécution. La tactique est constituée de plusieurs éléments mis en cohérence permettant l'exécution de votre stratégie. Elle implique les ressources utilisées (budget, équipes, fournisseurs, etc.) et la planification (ou roadmapping) d’un ensemble d’actions concrètes. Les activités du portefeuille sont donc de :

Planifier

Un des rôles clés du portefeuille, c'est de décliner la stratégie en petits pas (projets initiatives etc.) concrets, réalistes qui concordent à l’atteinte des objectifs fixés. Il est donc important de donner une cohérence d’ensemble et une logique dans la succession de ces petits pas. Cette activité de planification va permettre de construire le chemin et commencer à prioriser le backlog autour de la stratégie. La priorisation au niveau du portefeuille ne concerne pas la totalité de l’activité de l’organisation, mais des sujets qui contribuent à la stratégie de l’entreprise. Il s’agit là de piloter l’ensemble, en donnant une direction commune et une vision moyen-long terme.

Il est important aussi de rappeler que la planification est une activité continue et non une phase. Les retours terrains, les changements de contextes doivent être pris en compte pour vous ajuster en continu. Après tout … L’agilité d’une organisation se mesure à sa capacité à s’adapter et ajuster sa planification par rapport aux contextes internes et externes.

Budgéter

La gestion budgétaire classique est héritée du monde industriel des grandes œuvres où le budget est accordé à un projet avec un début, une fin et une équipe dédiée. Ce modèle ne convient plus dans un monde VUCA avec un besoin de capitalisation de fluidité et de flexibilité pour répondre aux enjeux actuels.

Dans une vision Agile et Lean du portefeuille, la gestion du budget est simplifiée à son extrême. Le budget est géré en capacitaire avec une distribution moyen-terme du budget autour d’écosystèmes de l’entreprise (équipes, domaines, chaînes de valeur, trains, peu importe) sans différenciation de capex, opex, build, run etc.

L’idée sous-jacente est celle de stabiliser la capacité de production en fonction de la stratégie et la roadmap. Une capacité stable de production permet d’avoir un budget stable sur une durée donnée. La question n’est plus celle de staffer les projets mais d’alimenter vos équipes avec les sujets qui arrivent avec une démarche “Design to cost”. Pour faire preuve d’Agilité, des mouvements entre les équipes peuvent être envisagés périodiquement (3-6 mois). La capacité globale ne change pas mais les poids des équipes à l’intérieur est flexible.

Quelque part ce que l’on cherche à faire c’est d’évacuer la question du budget pour concentrer la réflexion sur les actions concrètes du terrain.

Mesurer grâce aux OKRs

Les OKRs sont un moyen de mesure en vogue aujourd’hui et qui est utilisé au niveau du portefeuille (SAFe parle de thèmes stratégiques). Un OKR est composé de deux choses :

Objective : exprimé clairement en une phrase concise permettant de clarifier l’intention et la communiquer.

Key Results : des résultats clés mesurables ou observables permettant d’expliciter les attendus, de les mesurer et de les ajuster si nécessaire.

Il est important de faire la distinction entre "OKR stratégique" et "OKR tactique". l’OKR stratégique est celui qui va permettre de mesurer le rapprochement et atteindre vos objectifs stratégiques un peu comme un GPS. L’objectif est d’avoir un focus sur les outcomes (impacts) et un meilleur alignement IT et métier. Il permet aussi de mesurer l'écart entre ce qu'on avait prévu et ce qu'on obtient réellement et d'ajuster notre portefeuille projet.

l’OKR tactique est lui plutôt orienté exécution et performance, comme la vitesse d’une voiture. Ce sont des OKRs définis plutôt au niveau des équipes de réalisation pour mesurer une performance et suivre l’execution.

Avoir une bonne vitesse c’est bien, rouler vers la bonne direction c’est mieux !

Communiquer

The result of bad communication is a disconnection between strategy and execution.” - Chuck Martin

La communication de votre stratégie et tactique sont des éléments clés d’une bonne exécution. Cela parait évident, mais beaucoup de managers ne le font pas ou ne le font pas assez. Le secret de l’alignement c’est la répétition et le rappel constant de la stratégie globale “Si vous n’êtes pas fatigué de le répéter, c’est que vous ne le faites pas assez”. Quand j’étais salarié d’une multinationale, le CTO de l’entreprise faisait le tour des sites (de N-Y à Bangkok) pour partager sa stratégie et nous faire travailler dessus. Dans les entreprises qui font du SAFe, le PI planning est toujours une bonne opportunité pour communiquer (Business briefing).

Vous pouvez aller encore plus loin que communiquer, c’est de faire travailler les équipes sur la déclinaison pratique de votre stratégie en utilisant les OKRs. Le fait de travailler dessus et de la décliner va permettre de l’ancrer au niveau des équipes d’une part et leur permettre de l’influencer d’autre part.

Et dans l’autre sens ?

Nous avons beaucoup parlé dans cet article de la déclinaison d’une stratégie en tactique et de la tactique en actions concrètes au niveau des équipes. Mais n’oubliez pas de faire l’exercice dans le sens opposé. Ce sont vos équipes qui connaissent le mieux la réalité du terrain que ce soit en termes de technologies ou de business. Donne-le leur moyen d’influencer votre stratégie et tactique et écoutez leurs retours attentivement. Pensez à faire des ateliers collaboratifs pour construire des éléments stratégiques bottom-up. Le risque à ne pas faire est d’avoir une stratégie et une tactique déconnectés et qui ne s’adaptent pas de manière efficiente à des changements de contexte ou à des apprentissages issus du terrain.

Conclusion

Beaucoup de portefeuilles aujourd’hui se concentrent sur le contrôle du budget et des projets. Ceci est dû plus à des habitudes et à un certain confort qu’à une volonté explicite de le faire. S’aligner sur une stratégie et une tactique demande un effort considérable et des concessions. Mais vous avez tout à gagner en confrontant cette difficulté au lieu de l’éviter : “les chemins faciles ne mènent à rien”.

Votre portefeuille est un organe de projection, de vision et de communication. Son rôle est de faire le lien entre une stratégie globale entreprise et une exécution efficace avec du sens et du focus.

Pour aller plus loin :