Le designer numérique de 2035

Une illustration d'une femme derrière un ordinateur. Un petit robot souriant sort de l'écran de l'ordinateur et regarde la femme.

1. Des outils IA qui bouleversent la conception d’interface

Il est 9h, Paris, 11ᵉ arrondissement.

Clara pousse la porte des bureaux vitrés de MoveUp, une scale-up dynamique où “sport et bien-être s’inventent chaque jour”. Elle pose son café sur la table, salue Raphaël du marketing d’un sourire, et allume son ordinateur.

« Salut Clara, tout va bien aujourd’hui ? Tu as 4 mails non lus, mais rien d’urgent à gérer » glisse la voix synthétique de son assistant IA.

Clara esquisse un sourire. Elle songe : “Il y a dix ans, mes matins, c’était un Figma d’un côté, un œil sur Dribbble de l’autre. Aujourd’hui, mon premier geste, c’est de vérifier si notre CreativeIA n’a pas dévié depuis hier… Le design, c’est désormais du pilotage.

Dans ce métier en transformation, Clara n’est pas une exception. Autour d’elle, toute une génération de designers redéfinit ses repères. Les réflexes changent : là où il fallait ouvrir des logiciels et chercher de l’inspiration, il s’agit désormais de paramétrer et de coacher la créativité de l’intelligence artificielle.

Son café avalé et ses e-mails lus, Clara lance une routine sur son ordinateur :

“Génère-moi 10 variantes de parcours pour le tunnel de paiement mobile, ambiance sport/wellness. Prends le ton ‘enthousiasme mais safe’. Priorité : rassurer et dynamiser.”

Devant l’écran, Clara observe les écrans générés :

— “Les variantes 3, 8, 10 ont l’air idéales côté guidage. Le bien-être est mis en avant et il y a des messages de remotivation s’il y a une erreur de paiement. Cool !”

Mais Clara ne valide rien sans contrôle. D’un clic, elle déclenche une campagne de monitoring qui scrute chaque étape du parcours généré.

“Rapport QA : accessibilité et cohérence design system OK, tout est nickel.”

Elle se murmure : “Si je laisse tout faire à la machine, on avance à l’aveugle. Ma responsabilité c’est de questionner chaque intention. Je place des garde-fous, discute chaque écart avec l’équipe IA Ops : est-ce qu’on perçoit encore l’ADN de notre marque ? La machine peut dévier très vite si nos données ou nos prompts sont trop vagues…

Les noms défilent dans sa tête : Lovable, Builder.io, Zeplin AI Design Review… Clara fait partie de ces 40 % de designers qui, dès 2024, utilisaient déjà un outil IA. Résultat ? Le temps de prototypage divisé par trois, voire plus. Mais la magie a ses limites. Trop d’outils et d'automatisation fait surgir le risque de voir des interfaces interchangeables, dupliquées à l’infini pour tous les produits.

Clara, lucide, résume à son équipe lors du daily : “Ce qui fait la différence, ce seront nos guiding principles, la richesse de notre base d’utilisateurs… et cette petite étincelle narrative qu’on infuse dans chaque prompt.”. Et elle ajoute pour elle-même “Et notre esprit critique, notre capacité à désobéir, aussi.” Elle pense à Anabel, un ami graphiste, qui refuse l’usage de l’IA pour certaines tâches : “Appuyer sur un bouton et voir l’ordinateur travailler pour moi, c’est pas pour moi. L’identité visuelle, c’est le cœur de la marque, son âme. Pour qu’elle soit vivante, je dois prendre un crayon, pas paramétrer une machine”. Prendre le temps du doute, de l’erreur, du recommencement… Clara admire cette posture. Avoir l’audace de dire non à l’IA pour garder un esprit critique et conserver la part humaine du métier, ça l’inspire.

2. Du pixel au système

Midi. Réunion accélérée avec Milo, l’IA Ops, et le reste de l’équipe :

“Pour le paiement, j’ai observé des résultats pas top. On veut garder l’esprit ‘sportif rassuré’, pas de marketing agressif. Du coup on passe un peu à côté de la singularité MoveUp : la motivation, le bien-être, l’autonomie. Clara, tu as constaté le même problème ? ”

— “Oui pareil de mon côté depuis quelques jours. Les prompts ont l’air OK par rapport à nos catégories d’utilisateurs, ça a l’air de venir du modèle. Je pense que ça manque de storytelling, quelque chose du genre: ‘Ton abonnement, ta motivation.’ ”

Milo prend notes.

“Oui ça me semble bien. On va tuner le modèle de notre côté, et on te laisse revenir vers nous si t’as le moindre souci.”

En 2035, le métier a migré. Clara ne passe plus sa matinée sur l’ajustement de pixels, mais sur la structuration de playbooks de prompts, le storytelling de marque et comment l’injecter au sein de l’IA. Mais, une question revient, souvent, comme un doute insistant : "Est-ce que je fais encore un métier créatif ?"

Clara observe ses journées : le pilotage d’une machine, la validation de résultats, le cadrage des intentions. La création de concepts naît toujours d’une idée, mais la réalisation devient un exercice d’orientation, de discussion avec une machine et de correction. Parfois, elle sort ses carnets, griffonne des wireframes à la main, ressent la différence – un résultat plus palpable, la sensation d’inventer vraiment quelque chose.

Elle songe: “Pour rester vivante, la créativité doit résister à devenir simple contrôle qualité, à l’édiction de règles.

L’humain reste tout de même la clé de voûte du système, la préoccupation principale de Clara. Elle se connecte au repository de feedbacks. À l’écran : personas vivants — runners urbains, passionnés de yoga, adeptes de HIIT. Pour chaque profil, un nuage de verbatims, de stats, de signaux faibles issus des données d’usage du produit.

Voilà le cœur du réacteur, se dit-elle. Ce sont ces microdonnées, ces vérités du terrain que l’IA doit digérer. Les runners détestent les pop-ups ? On ajuste. Les yogis survolent le tunnel de paiement ? On réinvente le parcours.”

Fini l’époque des personas statiques : Clara réinvente quotidiennement la base, y injecte des insights, des interviews, des retours d’usage, des feedbacks business…Son objectif, c’est une expérience vivante, vibrante, mais jamais hors-sol. Derrière chaque parcours généré par l’IA, il y a du vécu, du contexte, de la finesse accumulée. L’IA s’appuie sur ces “rails” invisibles pour proposer des expériences pertinentes et personnalisées.

Yacine, du business, passe près du bureau :

— “Trop cool ton nouveau tunnel de paiement ! Pour les profils yoga, tu peux booster la conversion ?

— “Il faut qu’on conçoive les prompts ensemble. J’ai pas les bons encore.”

— “Top, on rédige les priorités et on valide en direct en AB test?”

Main dans la main, business et design composent les recettes qui orienteront la machine. Ici, la collaboration est au centre : on aligne stratégie et expérience utilisateur, on itère à toute vitesse. La force de cette méthode ? Grâce au trio playbook de prompts stratégiques, IA boostées au storytelling et repository utilisateurs nourris en continus, les solutions proposées par l’IA collent au réel et à la vision stratégique de MoveUp.

3. Les enjeux éthiques et écologiques : la responsabilité du designer augmenté

Une popup apparaît sur l’écran de l’ordinateur:

23 % de risque de discrimination de genre détecté sur les messages de motivation pour la cible +40 ans. Audit nécessaire.”

Clara souffle. Il y a 10 ans, elle traquait les contrastes de couleurs. Aujourd’hui, elle lutte pour que l’IA ne glisse pas vers des biais sexistes ou racistes. Le piège ? Les dark patterns personnalisés, capables d’exploiter finement la psychologie de chaque utilisateur. L’IA pousse la manipulation à un niveau inédit.

Clara prend sa mission à cœur. Auditer chaque output, comparer systématiquement avec la connaissance utilisateur, appliquer des frameworks “Responsible AI”, intégrer RGPD et diversité by design, tester avec des panels variés pour éviter les angles morts. Nouvelle devise : l’humain d’abord. Toujours.

Au-delà de l’éthique, un enjeu s’ajoute : l’impact écologique. Elle consulte un article relayé par Raphaël : “Les data center nouvelle génération déployés par Meta consommeront l’équivalent d’une ville moyenne ; au total, les data center dédiés à l’IA présentent aujourd’hui une consommation équivalente à celle du Japon”. Elle se fige : “La magie de la personnalisation à son coût : de l’énergie, des serveurs qui tournent en continu, des ressources, …”. Elle imagine alors MoveUp multipliant ses personnalisation par milliers, pour satisfaire les besoins de tous ses utilisateurs. L’addition énergétique devient vertigineuse. Clara ping son équipe sur Slack pour ouvrir le débat : “Et si on limitait l’usage de notre CreativeIA à certains cas, pour préserver notre empreinte ?

4. Et demain ?

Clara s'octroie une pause café, et se prend à rêver. Et si demain, l’IA embarquée sur nos appareils permettait à chaque utilisateur de vivre son expérience, générée à la volée selon ses envies et émotions du moment ? Elle imagine : onboarding Youtube qui s’adapte à son humeur, UI Spotify qui change après une séance de sport... Autour d’elle, les grands acteurs du secteur comme Airbnb ou Netflix personnalisent déjà depuis des années leurs produits en fonction des profils utilisateurs pour maximiser leur impact. Mais ces utilisateurs, dont elle porte la voix aujourd’hui chez MoveUp, seront-ils plus heureux, plus satisfaits ? Ou seront-ils juste plus monitorés et plus influencés qu’ils ne le sont aujourd’hui ?

Dans ce nouveau monde, ce qui est certain, c’est que son métier évoluera encore. L’interface ne sera plus qu’un épiphénomène. Ce qui restera, c’est le système : un socle de principes, d’intentions, de garde-fous conçu et orchestré par le designer. Plus que jamais, Clara se détachera de son rôle de conceptrice de parcours ; elle deviendra chef d’orchestre du système créatif, dont le rôle sera de garantir des expériences pertinentes, éthiques, et surtout, résolument humaines.

Sources

The economic potential of generative AI: The next productivity frontier

How Airbnb & Netflix Use UI/UX to Dominate Their Industries

Behavioural study on unfair commercial practices in the digital environment

Responsible AI: Ethical policies and practices | Microsoft AI

IA et data centers : une facture électrique salée ?