Le backlog est vivant, il bouge avec des feedbacks (épisode 8 - c'est un succès)
La foule est en liesse.
Et c’est peu dire.
Théo et Léa utilisent l’application autant que leurs autres applications. Les GAFA n’ont qu’à bien se tenir.
Et pourtant il y en a encore eu de belles.
Le plus gros changement est arrivé tard, c’était énervant de devoir le reconnaître. Les lots de feedbacks amènent leurs lots de changements, Charlotte en avait accepté l’idée.
Et pourtant c’était encore surprenant.
Théo avait dit dès l’itération 2 :
« La règle des 100%, tu peux l’enlever ? »
Léa était plus exigeante :
« Maman, je veux faire ce que je veux, pas suivre ton plan machin là.
« Je veux apprendre cette leçon là ou celle-là, et je dois tout faire avant ? C’est sérieux ? »
Charlotte avait mis ça sur le compte de la jeunesse, et aussi sur l'inébranlable certitude que ses enfants sont les plus beaux, les meilleurs, qu’ils apprenaient déjà bien sans l’application. Donc pas assez représentatifs. Cela justifiait amplement que Charlotte prenne quelques libertés.
Comme de refuser de prendre en compte ces feedbacks.
Elle a résisté pendant une itération.
Après il a fallu céder.
A la fin de l’itération 3 Théo n’est pas venu. Elle l’a appelé une fois, deux fois, il a dit de voir avec sa sœur.
Pourtant l’application de l’itération 3 était mieux que celle de l’itération 2.
Il y avait un minuteur, et les statistiques de succès.
C’est dur pour Charlotte.
Elle se rassemble et refait l’histoire.
L’intention du départ était de progresser.
Le senseï avait expliqué ça. Charlotte-PO avait interprété ce besoin avec :
- un plan de leçons qui se débloquent au fur et à mesure d’un apprentissage complet (les fameux 100%),
- une fonction “tous les hiraganas appris” et “tous les katakanas appris” qui permet de jouer avec beaucoup de kana, cumulés selon l’apprentissage acquis.
C’était une belle démonstration de l’intention initiale.
Et pourtant il y avait un raté. Un gros.
L’application était trop guidée.
Les utilisateurs ne voulaient pas de cette progression là. Ils voulaient eux même décider de leur progression. Les utilisateurs voulaient de la liberté.
Les applications ne sont pas assez ouvertes, se dit Charlotte, elles sont trop fermées.
Charlotte est habituée à “guider” les utilisateurs en les contraignant à suivre le chemin qu’elle a imaginé pour eux. C’était sa façon de réaliser des logiciels. Les utilisateurs doivent suivre un processus que Charlotte a conçu.
Charlotte reconnaît en y réfléchissant qu’elle avait peur.
Peur que ses utilisateurs n’y arrivent pas.
Elle avait oublié que l’utilisateur sait se débrouiller. Il cherche. Si l’utilisateur choisit une leçon difficile, la prochaine fois il ajustera. En fonction de son niveau, de son expérience à lui.
Charlotte constate qu’il y a une multitude de chemins en fait.
L’intention du départ était de progresser.
Le senseï avait expliqué ça.
Charlotte-PO pourrait interpréter ce besoin avec :
- toutes les leçons peuvent être jouées,
- un niveau facile propose la leçon seule,
- un niveau difficile propose la leçon plus les précédentes leçons du plan d’apprentissage.
C’était une autre belle démonstration de l’intention initiale.
La même intention, deux démonstrations différentes. L’une meilleure que l’autre apparemment.
L’application à la fin de l’itération 4 :
Comment Charlotte a-t-elle finalement accepté de pivoter ?
En reconnaissant qu’elle perdait ses utilisateurs. Ils ne venaient pas voir le résultat !
Et en jouant seule, longtemps.
Finalement elle était d’accord avec eux.
Elle a lâché ses décisions dictatoriales. Elle a enlevé le blocage des leçons et le blocage des 100%.
Ses convictions fortes sur son produit étaient sa force, elles auraient pu être sa faiblesse. Maintenant Charlotte accepte les feedbacks comme une loi de construction. Si les feedbacks sont des détours, c’est ainsi, il fallait les prendre. Il fallait apprendre.
En plus c’est amusant, l’itération 4 est d’une simplicité déconcertante.
Elle ne doute plus. Elle n’aurait pas pu prendre de chemin plus court. Y avait-il une ligne droite ? Imaginaire peut être, en vrai elle ne fait que casser le système.
Pour faire simple, pour faire parfait, il a fallu prendre plein de détours.
Ce n’est pas fini. Elle pourra faire plus simple, elle aura besoin de plus d’itérations.
Blaise Pascal disait : « Je vous écris une longue lettre parce que je n'ai pas le temps d'en écrire une courte. »
Le backlog est vivant, il est même jetable.
L’application à la fin de l’itération 4 n’est pas la somme des idées des itérations 1, 2, 3 et 4. Si Charlotte avait réalisé un manuel d’utilisation à chaque itération, il aurait fallu itérer sur l’écriture de ce manuel autant de fois qu’elle a itéré sur le développement de l’application.
Le manuel d’utilisation montré à l’itération 8 sera plus intéressant que le backlog de l’itération 8, que le backlog tout entier même. Le backlog aura servi à construire et c’est déjà énorme.
Le backlog permet de dessiner des chemins, et d’apprendre pendant la route.
C’est une illusion de croire que l’on peut revenir dans le temps et corriger tous ces détours pour trouver la ligne droite.
Charlotte accepte maintenant que la conception initiale exhaustive est un raccourci de la pensée, que cette conception ne représente en aucun cas la réalité.
C’est tentant de produire beaucoup. De montrer combien le développeur est performant, magicien même.
C’est décidé, dorénavant elle passera son temps à réaliser des logiciels de qualité, même si cela signifie développer moins de choses.
Le backlog est vivant, il bouge avec des feedbacks.
épisodes :
2 – pour découvrir le produit, il faut le construire
4 – les utilisateurs seront ravis
7 - la PO n'est pas certaine, elle pourrait aller plus vite
8 - c'est un succès