L'arrivée de l'agile à OCTO 2/6 : Pierre Pezziardi

Cette interview fait partie d’une série, vous trouverez les autres à cet endroit.

Le 26 mars 2018

Pierre Pezziardi a cofondé OCTO en 1998. Directeur technique au début des années 2000 il est l’un de ceux qui font venir les agilistes. En 2012, il se lance dans des activités entrepreneuriales. Depuis 2013 aux startups d’État il coache des équipes qui travaillent sur des problèmes de politiques publiques sur un mode lean startup.

Comment voyais-tu les agilistes et l’agile avant que les agilistes n’arrivent à OCTO ?

Je savais qu’ils avaient une culture qui était extérieure à la nôtre. Nous avions une culture très technique d’architectes, c’est-à-dire d’assembleurs de briques. L’essentiel de notre offre était polarisée sur cette capacité à décrire des univers complexes et à faire les bons choix technologiques. Cela permettait de répondre à des vrais problèmes de productivité, mais ça ne résolvait pas tout.

J’étais un peu à la recherche d’un nouveau souffle, et j’ai vu des gens qui me sont plutôt apparus comme des illuminés, qui avaient des pratiques bizarres. L’agilité était alors peu développée en France : une petite conférence qui réunissait vingt personnes, un manifeste aux États-Unis, des développeurs comme Martin Fowler, une littérature qui était peu connue.

Les agilistes avaient une maturité sur la lecture des organisations et du changement qu’il était important que les architectes acquièrent.

Un changement se produit avec les gens alors j’ai recruté une petite demi-douzaine d’agilistes en 2001-2002. Ça ne s’est pas passé sans heurts.

Les architectes ont dû faire leur deuil de leur posture prescriptiviste et des solutions magiques qui n’en étaient pas.

Quelles ont été les premières réactions lorsque la rencontre a eu lieu ?

On était une société d’architectes en costume qui faisaient du conseil, et là on avait des gens d’une autre obédience, donc ça a créé des conflits. Il y eu une sorte de défiance des troupes historiques. On avait modélisé ce conflit : on appelait ça les bleus et les gris.

On avait essayé de le désamorcer en insistant sur le fait que ça n’est pas parce qu’il y a des agilistes que ça va détruire les architectes. Mais ce n’est pas facile à entendre, surtout quand un des chefs s’occupe beaucoup des agilistes et moins des architectes parce qu’il accompagne l’innovation plus qu’il n’accompagne le business qui tourne.

Au final, l’agile s’est imposé quand on a réalisé qu’on pouvait être à la fois architecte et agiliste, et que cette double compétence était même très valorisée et souhaitable.

Comment s’est passé l’arrivée des agilistes chez les clients ?

On a fabriqué une offre, elle se vendait bien mais se heurtait à deux difficultés.

D’une part, elle se heurtait à des tensions entre ce qu’on voulait faire – c’est-à-dire des équipes autonomes – et les contextes – que permettaient-ils vraiment de faire ?

Parfois, les gens étaient terrorisés par le fait de donner de l’autonomie aux équipes. Les innovations génèrent du rejet, une peur du déclassement de la part de la caste des personnes qui tiennent les rênes.

D’autre part, même quand ça marchait, on se heurtait au problème de la finalité : rendre une équipe productive ne sert à rien si le projet n’a pas de sens. On a avancé avec des gens qui s’impliquaient et voulaient obtenir des résultats, mais pour des projets qui ne servaient à rien. C’est ce qui a fini par me faire partir.

Combien de temps a-t-il fallu pour que vous trouviez un équilibre ?

L’arrivée d’un étranger oblige à un regard introspectif sur soi et ce changement est difficile. Le changement a mis trois ans, et il faut accepter cette durée.

On a tiré de cette expérience la “théorie de la frontière” qu’on trouve dans une politique pour le SI. L’idée, c’est que dans une organisation il y a toujours une zone de rationalisation et une zone d’innovation séparées par une frontière.

Aujourd’hui, je fais la même chose dans l’État. C’est très compliqué d’innover au cœur d’OCTO, c’est très compliqué d’innover au cœur d’une administration ou au cœur d’une grande banque. Si vous voulez innover, il faut admettre qu’il y a deux légitimités qui vont s’affronter et que c’est comme ça.

Est-ce que rétrospectivement, il y a quelque chose que vous auriez pu faire pour que ça se passe mieux ?

Une plus grande empathie de ceux qu’on pourrait juger comme conservateurs ou réactionnaires. Ce n’est pas la lutte des méchants conservateurs contre les gentils barbares innovateurs qui vont améliorer les choses.

C’est une double légitimité : vous êtes légitimes à tenir la boutique telle qu’elle est, elle est imparfaite mais tous les jours on vous demande des comptes pour savoir si le système fonctionne. La mission principale de quelqu’un dans le système, c’est de le faire tourner.

J’ai peut-être poli mon discours à l’égard de ceux que je viens disrupter, mais le changement ne se fait pas plus rapidement. Il faut bien retenir la leçon que les individus sont inquiets, légitimement.