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Ainsi, en quelques millièmes de secondes, le cerveau (et non les yeux !) est capable de reconstituer l’image, de l’interpréter comme étant une pomme verte et immobile, mais il nous permet également d’agir si besoin (e.g., rattraper la pomme si celle-ci était en mouvement).
Que voyez-vous sur ces images ?
Figure 3. Images dites bistables | Sources : Rubin, E. 1915. Visuell Wahrgenommene Figuren. Gyldenalske Boghandel, Copenhagen, Jastrow, J. (1899). The mind's eye. Psychological Review, 6(2), 189-205.
2 visages ou un verre (image1) ? Une vieille dame ou une jeune femme (image2) ? Un canard ou un lapin (image3) ?
Les 3 images ci-dessus sont dites “bistables” : elles présentent chacune une ambiguïté quant à leur interprétation. On peut voir alternativement l’une ou l’autre des options mais jamais les deux simultanément. Si nos yeux font face à une seule et même image, comment se fait-il que le cerveau interprète cette dernière de deux façons différentes ? (e.g., Leopold & Logothetis, 1999 ; Blake & Logothetis, 2002 ; Hupé & Rubin, 2003)
Afin de se créer une représentation la plus stable et cohérente possible, le cerveau va interpréter les signaux que le monde lui envoie : c’est ce qu’on appelle la réduction de l’ambiguïté. Face à une image bistable, le cerveau choisit l’une des options à un instant t mais est capable de choisir l’autre option à un instant t+1. Ce que nous apprennent les illusions bistables, c’est que l’être humain a tendance à penser que sa propre perception est fiable au point de la considérer comme partagée. Lorsqu’il filtre, traite et interprète les stimuli que le monde lui renvoie, le cerveau construit sa propre vision globale du monde en faisant sans cesse — et inconsciemment — des suppositions sur ce que le monde est, ou sur la manière dont il fonctionne (Moukheiber, 2019, p. 18–19).
Pour créer notre vision du réel, le travail du cerveau va dépendre de facteurs intrinsèques (i.e., internes à l’individu) tels que nos connaissances, notre niveau d’éveil, notre état émotionnel, nos motivations. Certaines études ont par exemple montré qu’un individu de bonne humeur aura tendance à percevoir les visages d’autrui comme plus sympathiques ou plus agréables (Bower & Forgas, 2000 ; Pessoa, 2009). D’autres ont également rapporté un effet de l’anxiété et du stress, rendant plus susceptibles les individus de détecter ou de surestimer les signaux de menace dans l’environnement (Bishop, 2009 ; Mogg & Bradley, 1999).
Que vous travailliez en conception d’interface, sur la création de document collaboratif ou de dashboard par exemple, il est essentiel d’avoir à l’esprit qu’un individu ne va jamais tout regarder sur une page (Nielsen, 2006).
Figure 4. Illustration des conditions expérimentales de l’étude de Yarbus (1967) | Source : Yarbus, A. L. (1967). Eye Movements and Vision. Plenum Press.
En effet, dans le domaine de la psychologie cognitive, une étude de Yarbus (1967) a consisté à enregistrer les parcours visuels de participants pendant qu’ils regardaient le tableau d’une peinture. Différents groupes de participants ont été invités à observer le tableau selon des objectifs différents : explorer le tableau librement, évaluer leur aisance matérielle, estimer l’âge des personnages, mémoriser les vêtements de chacun, etc. Les résultats (cf. Figure 4) ont montré que les parcours visuels varient en fonction de l’objectif donné, démontrant l’influence significative des intentions cognitives sur les mouvements oculaires et soulignant l’importance de la cognition (i.e., les motivations ici) dans le processus de perception visuelle.
Puisque l’on sait que le parcours de l’œil de l’individu va dépendre de son objectif (e.g., Poole, Ball & Phillips, 2005), on pourrait aisément répliquer cette étude à la navigation sur des interfaces. Voici un exemple de ce qu’une réplication pourrait donner si l’on mettait en place l’expérimentation de Yarbus (1967) sur une page web (premièrement, une exploration libre pour donner son avis sur une page ; deuxièmement, un objectif de recherche d’une information précise) :
Figure 5. Cartes de chaleur fictives illustrant à gauche une exploration visuelle libre et à droite une exploration avec objectif précis | Source : Gronier, G. (s. d.). Test des 5 secondes. http://www.guillaumegronier.com/cv/resources/Test5Secondes_v1.pdf
Outre l’influence de facteurs intrinsèques sur la cognition et donc l’expérience utilisateur, il existe également ce que l’on appelle des facteurs extrinsèques (i.e., externes à l’individu) jouant eux-aussi un rôle sur la cognition, tels que :
Ces facteurs — intrinsèques comme extrinsèques — vont créer des fossés parfois monumentaux entre les individus. Il est en effet essentiel de garder à l’esprit que vos utilisateurs/collègues/lecteurs n’ont pas tous le même niveau d’expertise, de connaissances, la même concentration à un moment donné, le même rapport aux contextes sociaux, la même culture ou encore ne viennent pas tous du même environnement.
Pourquoi est-ce si important ? Simplement parce que ces facteurs vont jouer un rôle, influencer la cognition et donc, l’expérience vécue.
Que l’on parle de différences intra-individuelles (i.e., chez un même individu) ou inter-individuelles (i.e., entre les individus), celles-ci sont susceptibles d’impacter l’expérience utilisateur puisqu’elles vont notamment influencer l’effort cognitif sollicité lors de l’exécution de certaines tâches. Par exemple, si vous êtes fatigués ou stressés par le contexte dans lequel vous êtes, la tâche que vous allez devoir effectuer est susceptible de vous demander plus d’effort cognitif. Au contraire, en étant dans un environnement calme, en étant bien reposé, la tâche que vous devez effectuer vous demandera moins d’effort cognitif.
Il est essentiel de savoir que le cerveau va sans cesse chercher à économiser de l’énergie. Ainsi, en tant que designer ou créateur d’un document partagé par exemple, l’objectif sera de minimiser cet effort cognitif sollicité afin de garantir la meilleure expérience possible à la majorité de vos utilisateurs/collègues/lecteurs.
Pour finir, les différences inter-individuelles sont également susceptibles de jouer un rôle dans les retours que l’on récupère lors de tests utilisateurs. Sauer, Seibel et Rüttinger (2010) par exemple, ont mené une étude scientifique avec deux groupes de participants : des experts VS. des novices dans l’utilisation d’une machine à laver le sol. Les 48 participants devaient effectuer la même tâche de lavage et les problèmes d’utilisation identifiés par les participants étaient enregistrés. Les résultats de cette étude ont montré que les experts signalent plus de problèmes d’utilisation que les novices, mais que ceux-ci sont considérés comme moins graves ou bloquants que ceux signalés par les novices.
Il est donc essentiel de considérer un maximum de facteurs possibles notamment lorsque vous menez des recherches utilisateurs.
Pour tenter de s’adapter au plus grand nombre, les contenus proposés dans un produit ou un service devront reposer sur les connaissances et les lois scientifiques de la psychologie cognitive : cela permettra de réduire au mieux l’impact des différences inter et intra-individuelles dont nous parlions. En effet, ces lois établies scientifiquement reposent sur des schémas mentaux de traitement sensoriel communs à une majorité d’individus. Pour information, les schémas mentaux permettent de faciliter la compréhension et l’assimilation d’informations par le cerveau humain.
La perception est un processus cognitif extrêmement rapide permettant d’interpréter, comprendre et agir sur le monde qui nous entoure. En quête de stabilité et d’économie d’énergie, le cerveau va s’appuyer sur des facteurs intrinsèques et extrinsèques. Ces derniers vont jouer un rôle direct sur notre perception du monde. Tous les individus ne vont donc pas percevoir les choses de manière identique, et un même individu ne percevra pas toujours les choses de la même manière.
Afin de minimiser ces différences entre les individus, ou les différences propres à un même individu, il sera nécessaire de s'appuyer sur les lois, les règles et les connaissances que la psychologie cognitive nous enseigne, celles-ci ayant été mises en évidence et validées scientifiquement.