Injection de Dépendances
L'injection de dépendances, c'est à la fois simple et compliqué.
C'est simple car on voit souvent l'idée que : "c'est juste passer les dépendances en paramètre du constructeur". Et dans un sens, "c'est pas faux".
Les choses commencent à se compliquer quand on essaie de la définir. Une définition pourrait être par exemple :
On appelle "Injection de Dépendances" un ensemble de principes et de patterns logiciels qui permettent de développer du code faiblement couplé.
Et quand on commence à vouloir l'utiliser dans notre code, on commence à se poser plusieurs questions. Par exemple :
- À quoi ça ressemble concrètement ?
- Qui est responsable d'injecter ces dépendances ?
- À quel moment est-ce que j'injecte mes dépendances ?
- Où est-ce que je vais instancier ces dépendances ?
- Est-ce que je suis obligé de passer par un framework ?
- Quelle est la différence entre Injection de Dépendances et Inversion de Dépendances ?
- Quels sont les patterns classiques ?
- Est-ce qu'il y a des anti-patterns ?
Donc c'est aussi potentiellement un peu compliqué.
J'ai récemment lu le livre Dependency Injection: Principles, Practices, and Patterns, de Stephan van Deursen et Mark Seemann. Ce livre apporte beaucoup de réponses, et j'ai été surpris et très intéressé par la richesse du sujet.
Pour partager une petite partie de ce que j'ai vu, je propose de regarder l'exemple de code du livre, décrit en détail dans le chapitre 3. À chaque étape, j'essaierai de mettre en valeur quelques points qui m'ont particulièrement intéressé.
Note : cet article sera sans doute beaucoup plus intéressant si vous avez déjà quelques notions sur l'injection de dépendances. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez commencer par lire l'article Inversion of Control Containers and the Dependency Injection pattern de Martin Fowler.
Note : l'exemple est en C#, mais les principes appliqués devraient fonctionner quel que soit le langage et le framework. Ici le choix est fait de ne pas utiliser de container d'injection de dépendance, afin de bien voir toutes les parties.
Avertissement / Disclaimer : ce qui suit est un exemple qui illustre très bien de nombreux points, mais ce n'est pas "the only true way" pour gérer les dépendances. Si vous avez d'autres façons de faire, si vous utilisez le framework X ou Y, c'est très bien, voyez ce qui fonctionne pour vous. L'important est que vous ayez une bonne compréhension de vos pratiques et de ce qu'elles vous apportent.
La fonctionnalité
L'exemple décrit une fonctionnalité d'un site d'e-commerce. Cette fonctionnalité consiste à afficher une liste de featured products (produits phares) avec leurs prix. Si le client connecté est un preffered customer (client privilégié), alors il a droit à un discount (rabais) de 5 % sur ces featured products et les prix affichés doivent tenir compte de ce rabais.
Exemple de résultat attendu (imaginer une vue en joli HTML ici):
## Featured Products
- Criollo Chocolate ($34.95)
- Gruyère ($48.50)
- White Asparagus ($39.80)
- Anchovies ($18.75)
- Arborio Rice ($22.75)
La vue
Je vais commencer à décrire tout le code en commençant par la vue. Ce n'est pas très intéressant tout de suite, mais ça permet de bien voir l'ensemble en partant de l'aspect visible de la fonctionnalité.
@* src/Commerce.Web/Views/Home/Index.cshtml *@
@model FeaturedProductsViewModel
<h2>Featured Products</h2>
<ul>
@foreach (ProductViewModel product in this.Model.Products)
{
<li>@product.SummaryText</li>
}
</ul>
Ci-dessus, on voit qu'on itère sur des ProductViewModel pour afficher leur SummaryText. Je note aussi la notion de ViewModel : c’est un modèle dédié à la vue. Comme on l'a vu dans la liste de Featured Products affichée ci-dessus, les SummaryText montrent un nom et un prix.
Voyons d'où viennent ces informations.
// src/Commerce.Web/Models/ProductViewModel.cs
public class ProductViewModel
{
private static CultureInfo PriceCulture = new CultureInfo("en-US");
public ProductViewModel(DiscountedProduct product)
{
this.SummaryText = string.Format(PriceCulture,
"{0} ({1:C})", product.Name, product.UnitPrice); // Les infos affichées viennent du product
}
public string SummaryText { get; }
}
Le ViewModel est construit à partir d’un DiscountedProdut, et c’est le ViewModel qui a la responsabilité de construire le SummaryText visible par l’utilisateur à partir du nom et du prix unitaire du DiscountedProduct.
Ça va commencer à devenir intéressant, descendons dans le controller qui traite la requête pour voir qui nous fournit ces DiscountedProducts.
Le controller
// src/Commerce.Web/Controllers/HomeController.cs
public class HomeController : Controller
{
private readonly IProductService productService;
public HomeController(
IProductService productService) // 1) Dépendance au service injectée
{
if (productService == null)
throw new ArgumentNullException(
"productService");
this.productService = productService;
}
public ViewResult Index()
{
IEnumerable<DiscountedProducts> products =
this.productService.GetFeaturedProducts(); // 2) Récupération des DiscountedProduct
var vm = new FeaturedProductsViewModel(
from product in products
select new ProductViewModel(product)); // 3) Instanciation des ProductViewModel
return this.View(vm);
}
}
Comme on le voit ci-dessus, c'est un IProductService qui a la responsabilité de fournir la liste des featured products au controller (2). Ce ProductService est injecté dans le controller dès la construction(1). C’est un exemple d’injection de dépendance par paramètre de constructeur, un pattern classique.
On voit aussi que le controller a la responsabilité de créer les ProductViewModels passés à la vue (3).
Allons voir en quoi consiste ce ProductService.
Le service
Le IProductService est ici ce qu'on appelle parfois un Application Service. Cette notion d'Application Service est parfois connue sous d'autres noms, l'important c'est que c'est un point d'entrée de la couche métier, souvent avec un rôle d'orchestration. Pour nommer cette couche métier ou d’entrée du code métier, on entend souvent parler de couche Application, ou directement de Domain, ou de Business Logic, ou de Use Cases en fonction du vocabulaire que vous avez choisi dans votre équipe.
// src/Commerce.Domain/IProductService.cs
public interface IProductService
{
IEnumerable GetFeaturedProducts();
}
L'application service, c'est avant tout l'interface IProductService ci-dessus, une liste de méthodes publiques. Le HomeController n'a pas à en savoir plus, et ne doit pas dépendre de l'implémentation du service. Mais comme on veut faire tout le chemin, allons observer cette fameuse implémentation.
// src/Commerce.Domain/ProductService.cs
public class ProductService : IProductService
{
private readonly IProductRepository repository;
private readonly IUserContext userContext;
public ProductService(
IProductRepository repository, // 1) Dépendances, injectées par constructeur
UserContext userContext)
{
if (repository == null)
throw new ArgumentNullException("repository");
if (userContext == null)
throw new ArgumentNullException("userContext");
this.repository = repository;
this.userContext = userContext;
}
public IEnumerable GetFeaturedProducts()
{
return
from product in this.repository
.GetFeaturedProducts() // 2) récupération des produits phares
select product
.ApplyDiscountFor(this.userContext); // 3) application des rabais en fonction du userContext
}
}
Il y a trois points à observer ici.
On peut voir à nouveau en 1) de l'injection de dépendances par paramètres de constructeur.
On peut voir également en 2) la récupération des featured products à partir d'un repository.
Et en 3) on peut voir un élément moins courant, le passage d'un userContext à la méthode ApplyDiscountFor() de l'entité Product. On verra le détail de cette méthode plus bas. Pour le moment, on peut noter que ce IUserContext est également injecté dans le service au niveau du constructeur.
Comme on le verra plus bas, ce IUserContext est résolu et injecté à chaque requête.
L'entité Product et l'objet DiscountedProduct
On peut observer ici un exemple d'entité qui porte des responsabilités métier, comme appliquer un discount. Ce n'est pas un simple sac de données. Note : ici je parle d’entité au sens le plus simple, quelque-chose qui a une identité.
// Product Entity
// src/Commerce.Domain/Product.cs
public class Product
{
public string Name { get; set; }
public decimal UnitPrice { get; set; }
public bool IsFeatured { get; set; }
public DiscountedProduct ApplyDiscountFor( // 1) Application d'un rabais
IUserContext user) // 2) Injection de contexte par méthode
{
bool preferred =
user.IsInRole(Role.PreferredCustomer); // 3) Utilisation du contexte pour déterminer si l'utilisateur est "preferred"
decimal discount = preferred ? .95m : 1.00m;
return new DiscountedProduct( // 4) Construction d'un autre type
name: this.Name,
unitPrice: this.UnitPrice * discount);
}
}
Il y a à nouveau beaucoup de choses intéressantes ici.
1) Comme dit plus haut, cette entité sait faire des choses, comme appliquer un discount.
2) Pour appliquer ce discount, l'entité a besoin du contexte utilisateur, qui est variable et peut changer à chaque requête. Ce contexte est injecté par méthode, c'est un pattern moins discuté que l'injection par constructeur, mais très pertinent ici. C'est pertinent ici car l'injection par constructeur ne va pas fonctionner : on ne veut pas avoir besoin de connaître des choses sur l'utilisateur connecté au moment de la construction des entités Product, qui a probablement lieu dans une implémentation de product repository.
3) Ici l'entité pose une question au contexte, elle ne dépend pas de sa structure interne. "Est-ce que l'utilisateur est preffered ?" Ce qui veut dire qu'on peut changer la structure interne du UserContext sans avoir à changer l'entité.
4) Appliquer un discount ne modifie pas l'entité Product, mais crée un nouvel objet de type "DiscountedProduct", qu'on va voir ci-dessous.
// DiscountedProduct POCO class
// src/Commerce.Domain/DiscountedProduct.cs
public class DiscountedProduct
{
public DiscountedProduct(string name, decimal unitPrice) {
if (name == null) throw new ArgumentNullException("name");
this.Name = name;
this.UnitPrice = unitPrice
}
public string Name { get; }
public decimal UnitPrice { get; }
}
Cet objet DiscountedProduct est lui un sac de données. C'est un objet d'échange, on parle parfois de DTO (Data Transfer Object). C'est lui qui est passé à la vue, qui l'utilise pour produire ses SummaryText comme on l'a vu plus haut.
Le IUserContext
Voyons maintenant un exemple simple d'implémentation de IUserContext.
// src/Commerce.Domain/IUserContext.cs
public interface IUserContext
{
bool IsInRole(Role role);
}
// src/Commerce.Domain/Role.enum.cs
public enum Role { PreferredCustomer }
C'est avant tout une interface, avec des méthodes publiques. Ici, une méthode publique, IsInRole(). Cette méthode a la responsabilité de dire si l'utilisateur possède tel ou tel rôle. En passant, les rôles sont définis par exemple par une enum, pourquoi pas.
Comme on le voit ci-dessous, l'implémentation nécessitera une adaptation vers le framework.
UserContext et adaptation vers le Framework
Dans cet exemple en ASP.NET, une façon d'implémenter ce UserContext est d'utiliser le HttpContextAccessor fourni par le framework. Le framework nous dit que cet objet connaît les rôles de l'utilisateur dans le contexte de la requête. Ici c'est un peu magique à mon goût mais je fais confiance au framework. Par exemple :
// src/Commerce.Web/AspNetUserContextAdapter.cs
public class AspNetUserContextAdapter : IUserContext
{
private static HttpContextAccessor Accessor = new HttpContextAccessor();
public bool IsInRole(Role role)
{
return Accessor.HttpContext.User.IsInRole(role.ToString());
}
}
On voit que pour le framework, les rôles sont des strings, et qu'on a choisi un enum plus haut. C'est très bien, l'adaptation est faite ici, et on ne se plie pas aveuglément aux choix du framework.
On voit aussi que cette adaptation nécessitera de bien connaître votre framework, et peut-être d'adapter les choses à votre cas.
La dernière étape sera de voir comment tout ça se connecte : comment est-ce qu'on va brancher toutes ces dépendances ?
Composition Root
C'est bien beau toutes ces dépendances, mais on n'a pas encore vu comment tout se branche concrètement.
Un des patterns important du livre est la notion de Composition Root. C'est dans le Composition Root que le graphe de toutes les dépendances qu'on a vues jusqu'ici est enfin résolu.
Si on utilise un container d'injection de dépendance, cette résolution sera faite pour vous. Mais comme on le voit ci-dessous, on n'est pas obligé d'utiliser un container, une résolution KISS peut aussi fonctionner.
Ici on observe ce qui se passe dans notre implémentation du IControllerActivator, interface du framework qui est au bon endroit pour servir de Composition Root.
// The application's object graph
// more or less in the IControllerActivator.Create() method
// src/Commerce.Web/CommerceControllerActivator.cs
new HomeController(
new ProductService(
new SqlProductRepository(
new CommerceContext(connectionString)),
new AspNetUserContextAdapter()));
On peut voir explicitement comment les dépendances sont injectées, un peu comme des poupées russes. Le HomeController, le ProductService, le SqlProductRepository (IProductRepository), et le AspNetUserContextAdapter (IUserContext).
Note : je n'ai pas décrit l'implémentation du IProductRepository, car c'est souvent quelque-chose qui est connu et que l'article est déjà très long.
Il y a quelques finesses qui méritent d'être soulignées avant de terminer ce tour d'horizon.
Tout d'abord, il est important que ce graphe soit résolu à un seul endroit, le Composition Root. Si on rend les dépendances disponibles dans tout le code, et qu'à n'importe quel endroit du code on peut accéder à une dépendance par une forme de Registry ou de ServiceLocator, on va avoir le même problème que quand on utilise des variables globales : potentiellement, tout peut dépendre de tout, et le code devient très difficile à changer avec confiance.
Ensuite, la résolution est faite au plus prêt possible du point d'entrée de l'application. Ici, dès qu'une requête arrive, on instancie tout et les dépendances sont branchées pour tout le reste de l'exécution de la requête.
Note : on pourrait avoir peur pour les performances si on résout tout à chaque requête, mais en pratique c'est rarement un problème. Si vous mesurez que dans votre cas c'est effectivement un problème, le livre propose des solutions mais je ne rentre pas dans ce détail.
Pour aller plus loin
Pour aller plus loin, on pourrait observer que certaines dépendances sont stables, et ne nécessitent pas d'être injectées. Le livre parle de stable dependencies et de volatile dependencies. Ce sont les dépendances volatiles qui nécessitent d'être injectées.
Une dépendance est "volatile" quand elle n'est pas toujours disponible (bases de données, services Web, ...), quand elle contient un comportement non déterministe (temps, ...) ou qu'elle a besoin d'être remplacée, encapsulée, ou interceptée (il reste peu de choses ici normalement une fois qu'on a vu les deux premiers groupes).
On pourrait aussi chercher si dans le Composition Root il n'y a pas une partie configuration des dépendances, et une partie résolution. Un pattern possible est de séparer configuration et résolution, en mettant la configuration dans un fichier par exemple. Typiquement, la configuration est faite au démarrage de l'application, et la résolution peut se faire à chaque requête.
On peut également s'intéresser à comment utiliser notre framework ou un container d'injection de dépendances, maintenant qu'on a vu une façon de faire un peu complète.
Je vous invite à consulter le livre Dependency Injection ou le blog de Mark Seemann pour en savoir plus sur ces patterns.
Conclusion
C'est terminé, on a enfin bouclé ce très grand tour qui nous montre concrètement à quoi peut ressembler en pratique notre injection de dépendances.
On a vu le pattern classique "injection par paramètre de constructeur", le pattern moins discuté "injection par paramètre de méthode", on a même observé une entité métier qui est responsable d'un comportement.
On a également vu "quand" est faite l'injection, et une version naïve de "comment" est faite l'injection, avec cette notion de Composition Root.
Rien n'est particulièrement compliqué, mais je trouve intéressant de récapituler comment tout ça peut fonctionner ensemble, c'est souvent ce qui manque aux exemples qui ne montrent qu'une seule partie.
Liens
- Le livre Dependency Injection: Principles, practices, and Patterns
- L'exemple de code, en un peu plus détaillé
- Le blog de Mark Seemann
- Un article sur la Composition Root
- Un article sur le Service Locator comme antipattern
- Les nombreux articles sur l'injection de dépendances dans ce blog
- Si vous voulez découvrir des patterns d'injection de dépendance en programmation fonctionnelle, vous pouvez lire ces articles de Scott Wlaschin, et en profiter pour explorer son blog.