Fatigue du changement : stratégies inspirées de la diététique pour des changements soutenables et impactants
Imaginez ceci : vous décidez de suivre un nouveau régime alimentaire pour retrouver votre forme physique idéale. Vous êtes plein de motivation et déterminé à réussir. Les premières semaines se passent bien, vous voyez des résultats encourageants sur la balance, et vous êtes fier de votre discipline. Mais ensuite, lentement mais sûrement, cette motivation s'effrite. Vous commencez à ressentir une fatigue mentale et physique, et avant que vous ne le réalisiez, vous vous retrouvez en train de grignoter ce morceau de gâteau supplémentaire que vous aviez juré d'éviter.
Maintenant, transposez cette expérience dans le contexte professionnel. Vous êtes un agent du changement, travaillant avec des équipes pour mettre en œuvre des transformations impactantes. Vous assistez aux premiers succès, mais peu à peu, vous voyez cette même dynamique de motivation s'estomper, laissant place à une stagnation ou même à un retour en arrière. C'est ce phénomène, cette "fatigue du changement", qui constitue le cœur de notre réflexion aujourd'hui.
Dans cet article, nous explorerons les parallèles entre la "fatigue du régime" en diététique et la "fatigue du changement" dans le monde professionnel. À travers deux exemples concrets et des analyses approfondies, nous découvrirons comment comprendre et gérer cette fatigue peut conduire à des changements plus soutenables et impactants.
Les facteurs principaux qui se cachent derrière la fatigue
Avant cela, explicitons quelques-uns des facteurs principaux qui jouent un rôle dans l'accumulation de cette fatigue à travers le prisme du régime alimentaire :
- L'objectif : perdre, gagner ou maintenir un poids donné sur une période de temps ; il s'agit d'un objectif concret et généralement chiffré – un nombre cible sur la balance – dont le réalisme cependant mérite d'être vérifié.
- La progression : mesurée régulièrement via des pesées ; elle peut aussi bien encourager qu'être déceptive.
- La durée de l'effort : de quelques semaines à plusieurs mois ; elle dicte l'amplitude de l'effort
- La motivation : se transformer physiquement, être en meilleure santé ; elle peut-être intrinsèque comme extrinsèque et s'appuyer sur des bases solides ou non.
- L'environnement : le contenu de ses placards, son rythme de vie, ses habitudes sociales ; sans aucun doute le facteur le plus déterminant qui s'avère être également le plus complexe.
Ces facteurs sont évidemment interdépendants et la réussite ou non se joue dans leurs évolutions au quotidien. Illustrons cela à présent avec deux scénarios exemples utilisant des personas fictifs.
1/ Scénario 1 - “les petites changements successifs”
Gwenn est en surpoids et décide de commencer un régime pour améliorer sa santé, mais surtout son esthétique. Il veut avoir obtenu des résultats pour le mariage d'un ami qui se déroulera dans trois mois sur une plage.
En changeant quelques habitudes alimentaires, il voit rapidement le nombre affiché sur la balance progresser dans le bon sens et continue à ce rythme jusqu'à la date butoire. Il n'est pas complètement satisfait de son esthétique mais à cette occasion reçoit des compliments. Les gens sont impressionnés par sa transformation.
Il décide alors de continuer son régime quelques mois supplémentaires pour atteindre son idéal. Rapidement son poids stagne. Il essaie alors de réduire ses sorties entre amis au restaurant, de préparer ses repas du midi à emporter au travail mais malgré quelques résultats cela ne tient qu'un temps.
Il abandonne son objectif en ayant au passage repris quelques-uns seulement des kilos perdus.
Analyse
Ici l'objectif, la progression, la durée de l'effort, la motivation et l'environnement sont à l'équilibre sur la première période. C'est la situation idéale.
L'équilibre est cependant précaire. Lorsque la durée de l'effort augmente et que la progression stagne, de nouveaux changements sont introduits. Ils dépendent fortement de l'environnement et une chute de la motivation se produit. La fatigue a atteint son pic. Les changements et l'objectif sont abandonnés.
Parlons change
Cette première illustration fait écho à la situation que rencontrent parfois des équipes ou organisations engagées dans des cycles d'amélioration continue.
Les changements initiaux demandent un effort et donnent des résultats. Ensuite avec le temps, les changements successifs deviennent plus difficiles et/ou apportent des bénéfices moins importants. Il ne faut pas oublier que les expérimentations qui aboutissent idéalement à des améliorations se font souvent en plus du business as usual. Le temps qui leur est alloué aussi bien matériel que cognitif est limité.
Au mieux, la fatigue augmentant, elles décident de stabiliser les choses, libérant la pression et créant ainsi un nouveau statu quo incorporant les bénéfices obtenus. Il y a donc un bénéfice net et lorsque la fatigue sera redescendue, de nouvelles améliorations pourront être entreprises.
Au pire, il arrive que le simple maintien des changements réalisés demande un effort trop important – le plus souvent sous la pression de l'environnement – et que le système revienne à son état initial. Les améliorations sont perdues, la motivation des collaborateurs également.
A retenir
Un facteur clef de réussite est le temps. En disposer pour que les personnes puissent expérimenter des façons de faire différentes devrait être un pré-requis. On a besoin d'apprendre en faisant et d'avoir du temps de cerveau disponible pour cela. Il faut savoir que dans le quotidien, sous la pression du temps, et de la quantité des sujets en concurrence, les habitudes ancrées reprennent systématiquement le dessus.
Avoir un temps de consolidation de l'habitude – comme une période de stabilisation sans changement volontaire – réduit la "fatigue du changement" et recharge la volonté. Assurez-vous donc que les changements précédents sont devenus la nouvelle norme avant d'en introduire de nouveaux.
Par extension, pour économiser notre charge cognitive, privilégiez des changements qui simplifient ou remplacent au lieu d'ajouter à l'existant.
Revenons à Gwenn une minute qui a ignoré les conseils précédents. Un temps de stabilisation entre deux changements – ce concept de pause qui existe en diététique également – et l'introduction d'un changement après l'autre lui aurait sans doute permis de s'épuiser moins vite. De plus, il est plus simple de vider les aliments trop riches de ses placards que de les voir et d'y résister.
Au-delà du temps, la pression qu'exerce l'environnement dans son ensemble est le facteur majeur de réussite. C'est d'ailleurs ici que les leaders de l'organisation peuvent, doivent jouer un rôle.
En effet, les personnes peuvent être motivées et engagées mais si elles doivent régulièrement choisir la nouvelle façon de faire ou de penser tout en étant rappelées à l'ordre par les façons actuelles, elles s'épuisent.
Deux exemples. Un équipier est invité à collaborer avec ses équipiers tout en étant évalué strictement individuellement en fin d'année. Un PO est embauché pour créer un produit de zéro de façon itérative et incrémentale alors que l'équipe en charge de sa réalisation est engagée sur un périmètre fixe au forfait.
2/ Scénario 2 - Les changements majeurs rapides
Dominique ressort d'une consultation chez son médecin avec un constat – son cholestérol est bien trop élevé – et une marche à suivre pour y remédier sous la forme d'un plan nutritionnel où chaque repas est décrit avec précision.
Qu'à cela ne tienne, Dominique se lance pour tenir le plan. C'est immédiatement difficile. Son entourage est compréhensif. Cependant il est le seul à effectivement faire ce régime. Il doit manger différemment des autres, refuser ceci et cela qu'on lui propose sans y penser…
Dominique tient le cap pendant quelques semaines. Il suppose que c'est bon pour lui mais se contente rapidement de quelques concessions minimes. Sans surprise, l'examen suivant n'est pas meilleur et Dominique se dit qu'il devrait essayer de suivre le plan nutritionnel à nouveau le mois prochain ou bien le suivant.
Analyse
Ici l'influence de l'environnement est simplement trop forte dès le départ. L'effort est important et sa durée diminue aussi vite que la motivation alors que la fatigue augmente. Pourtant, l'objectif est sensé et la mesure de sa progression on ne peut plus concrète.
Lorsque la fatigue sera de nouveau à un niveau bas, une nouvelle tentative sera peut-être tentée.
Parlons change
Cette seconde illustration fait __écho aux transformation__s mises en œuvre par des organisations. Les objectifs, déclenchés par des douleurs ou des opportunités, sont le plus souvent fixés par la hiérarchie. Cela engendre d'entrée de jeu, deux phénomènes impactant la "fatigue du changement" : l'imposition d'une part, l'aspect indirect des objectifs d'autre part.
Aussi sensées et réfléchies que puissent être les raisons de la transformation, elle n'en est pas moins imposée. C'est d'autant plus vrai lorsque les moyens font également l'objet d'un plan d'implémentation mûrement réfléchi et tout autant imposé. En résumé : "people don't like to be changed".
Contrairement à la situation du scénario exemple, lors des transformations, les objectifs bénéficient de manière indirecte aux personnes impliquées et impactées par les changements. Ce sont généralement des bénéfices pour l'organisation, et non directement pour les personnes.
De plus, le sentiment de progresser peut manquer : le lien entre les actions du quotidien et l'objectif macro n'est pas direct, la mesure de la progression porte sur les moyens et non sur les impacts, l'impact n'est simplement pas mesuré…
Dans ce contexte, le risque est au final que les changements soient faibles et soient le résultat de la conformité des personnes à ce qui leur est demandé. Malgré tout cela, la transformation peut trouver des alliés. Ce qui est à prévoir est que les frictions avec l'environnement seront fortes. La question à se poser est, de fait : combien de temps vont-ils tenir avant eux aussi de subir les effets de la "fatigue du changement" ?
A retenir
Partager et expliquer les raisons derrière le changement ainsi que ses objectifs est indispensable. Cela donne un sens à la transformation. Cela aide les personnes impactées et impliquées à comprendre et raccrocher les wagons entre la situation actuelle et la situation future souhaitée. Néanmoins, il s'agit seulement d'un pré-requis.
En pratique, la réussite de la transformation dépend de la volonté effective des collaborateurs à expérimenter des changements. On traduit souvent cela par la notion d'engagement. Or la simple compréhension de la transformation ne suffit pas ni à le créer ni à le maintenir. De plus, si les changements sont imposés, la "fatigue du changement" sera conséquente et l'engagement faible, mettant à risque la réussite des objectifs.
Le meilleur outil à votre disposition ici est l'invitation. L'invitation crée un choix – l'accepter ou la refuser – et transforme la simple conformité passive en un réel engagement actif. Invitez les collaborateurs à participer au changement, à co-construire le cadre, à créer le plan et ses expérimentations.
Revenons à Dominique. Être en mesure de co-construire son plan nutritionnel en fonction de son environnement et de ses habitudes, et de vérifier son réalisme, aurait augmenté ses chances d'obtenir des premiers résultats, l'encourageant ainsi à continuer. Par extension, c'est une approche lente mais sûre qui est à favoriser.
Une fois la transformation initiée, la transparence reste clef au-delà de donner du sens, notamment pour évaluer comment progresse le changement. Les indicateurs de progression de l'impact, communs et disponibles pour tous, contribuent à cela.
Enfin, comme pour les petits changements successifs, il doit y avoir congruence entre le message porté par les objectifs et ce qui se passe en pratique. Par exemple, si un des objectifs visés est d'améliorer la responsabilisation des équipes et que les managers continuent de prendre les décisions en chambre, la fatigue augmente rapidement.
Conclusion
Il existe de nombreux parallèles entre la “fatigue du régime” et la "fatigue du changement". Avec un peu de hauteur, on se rend compte que ce qui se joue dans les deux cas est en fait un changement d'habitude. De plus, le pendant de cette fatigue est la volonté des personnes à changer.
Il ressort que l'environnement, au sens large, a un impact majeur sur le développement réussi ou non des habitudes, et ce tout au long de la période de changement.
Bien entendu, tout ne dépend pas de l'environnement. On ne peut pas simplement oublier le facteur humain : ce qui fait l'identité de chacun, sa maîtrise de son métier ou encore son autonomie.
Nous avons vu cependant que même la meilleure volonté finit par s'épuiser sous la pression de l'environnement.
En tant qu'agent du changement, vous avez donc un rôle clef de leader pour assurer que la "fatigue du changement" de vos collaborateurs ne soit pas trop élevée, et ainsi que leur capacité à changer soit disponible. Cela passe par être attentif à son niveau et tâcher de la réduire autant que possible, pour assurer des changements plus impactants et plus durables de façon soutenable.
Votre énergie, et les actions associées, est donc bien mieux investie à rendre le changement possible, à créer un environnement qui le facilite plutôt qu'à vendre, convaincre ou contraindre.