En quoi le monde du handicap booste les technologies (mobiles) ?

le 13/03/2025 par Pierrick Crepy
Tags: Numérique Responsable

Bien des innovations initialement prévues pour des besoins spécifiques de personnes ayant des besoins particuliers, et en dehors de la norme, des standards sont à l'origine d'innovations de notre monde moderne. Concentrons-nous ici uniquement sur celles qui ont un rapport avec le monde du mobile.

De la machine à écrire au clavier

Le Français Pierre Foucault (aveugle à l’âge de 2 ans, des suites de la variole) est l'inventeur français 🇫🇷 de la première machine à imprimer du braille en 1843 : le “raphigraphe” (initialement appelé « planche à pistons »).

Un autre inventeur et ami Louis Braille, connu pour l’alphabet en points saillants, l’appréciait au point de lui donner l'idée d'un autre raphigraphe pour permettre aux non-voyants d'écrire la musique de façon lisible par les voyants. Comme illustré sur la photo ci-dessous, la machine comportait un clavier vertical avec dix touches ; à l’aide d’un papier carbone, ces touches permettent d’imprimer une colonne de dix points. En avançant le clavier à plusieurs reprises, il est possible de former toutes les lettres, les chiffres et la ponctuation.

Photo d'un raphigraphe vue de 3/4 face

À l'origine, ce clavier était composé de 10 touches et permettait l'impression de caractère braille. C'était donc un moyen non seulement d’écrire, mais également de lire pour les personnes utilisant le braille. De nos jours, les claviers (mécaniques ou via un écran tactile) restent dans beaucoup de nos machines informatiques, y compris dans nos appareils mobiles.

Photo d'un clavier virtuel d'un smartphone

Transmission de la parole

La mère et la femme d’Alexander Bell étaient sourdes.
Cela a encouragé ce scientifique, ingénieur et inventeur 🏴󠁧󠁢󠁳󠁣󠁴󠁿 scotto-canadien 🇨🇦 à consacrer sa vie à explorer beaucoup de domaines, dont ceux de l’audition et la parole (y compris pour apprendre à parler aux sourds). Ce qui a été la source du premier brevet pour un téléphone en 1876.

Photo du premier téléphone de Bel. Ornée d'une armature en bois, les deux pièces étaient un peu l'équivalent électronique du concept du téléphone en yaourt ;-)

D’autre part, Miller Reese Hutchinson (ingénieur électricien américain 🇺🇸) a conçu la première prothèse auditive électrique en carbone au début du 20ᵉ siècle. D’ailleurs, les précédents travaux de Bell l’ont beaucoup inspiré.

Voilà ci-dessous une image d'une prothèse auditive Acousticon modèle "A" en carbone (fabriqué entre 1905 et 1910 par la “Hutchison Acoustic Company” - devenue en 1906 “General Acoustic Company”.

image d'une prothèse auditive Acousticon modèle "A" : on peut y trouver l'ancêtre d'un casque avec un seul haut-parleur, un élément cylindrique imposant qui est le microphone en carbone et d'une batterie rectangulaire, le tout, étant relié par des fils.

Par la suite, les technologies pour perfectionner l’appareil auditif n’ont cessé d’émerger : la prothèse auditive à lampes de 1920 a amélioré la qualité du son par rapport à son prédécesseur.

Puis la prothèse auditive à transistors créée pendant les années 1950 a permis la réduction de la taille de l’appareil, qui pouvait désormais être porté directement sur l’oreille.

Vous l'aurez remarqué, ce sont là les ancêtres de nos téléphones modernes et de nos écouteurs perfectionnés à réduction de bruit type AirPods et consorts.

Icône d'un smartphone en train de téléphonerImage d'un AirPod

Services de messagerie

Plusieurs personnes revendiquent la paternité des SMS (Short Message Service, texto en français), mais celui qui fait consensus, c’est Matti Makkonen ingénieur finlandais chez Nokia pour permettre aux sourds et malentendants d’utiliser des téléphones portables. Les premiers développements ont débuté en 1984 pour se retrouver dans le Nokia 2010 en 1994.

Photo du Nokia 2010 avec les caractéristiques suivants : Facteur de forme "Bar/Brick" (reprendre le terme péjoratif américain pour désigner les vieux imposons téléphone); Dimensions 165 x 58 x 28 mm; Poids 275 g; Écran monochrome (minuscule de quelques lignes seulement)
Et avec un clavier mécanique (quasiment toute la hauteur du téléphone)

L'ironie de l'histoire est que la plupart des opérateurs téléphoniques étaient convaincus que le texto ne serait utilisé que par les personnes sourdes et malentendantes, alors que les autres préférons téléphoner, plutôt que de taper des messages… En réalité, le SMS a été massivement utilisé en premier par les jeunes et dans des services en tous genres (livraison, réservation, sécurité…).

Le SMS a également été structurant dans les débuts de Twitter (rebaptisé depuis X). Il a aussi inspiré les messageries type WhatsApp, iMessage, Signal et consorts.

Image sous forme de Timeline avec à gauche le symbole du SMS , suivi de Twitter (rebaptisé depuis X) pour terminer par les icônes des messageries WhatsApp, iMessage, et Signal.

Le vibreur

Cette fonctionnalité basique qui vous permet de passer votre smartphone en mode discret a été implantée en 1996 par Motorola pour le StarTAC.

Initialement, cette innovation a été créée pour répondre à deux besoins :

  • permettre de sentir votre téléphone si vous êtes dans un environnement bruyant,
  • permettre aux personnes malentendantes d’être alertées à chaque notification de leur téléphone.

Photo du téléphone, Motorola, StarTAC. C'est un téléphone de type "clapet" avec une antenne télescopique.

Avant son apparition massive dans nos poches, le système de vibration était employé dans le domaine de l’aviation, afin de prévenir les pilotes des dangers ou des malfonctions. Par la suite, dans les années 70, ce sont les bornes d’arcade les plus développées (souvent des jeux de course ou de flipper) qui en bénéficient. Et en 1976, la vibration est apparue pour la première fois, via Sega, sur le jeu d’arcade Fonz.

Maintenant, c'est en standard sur tous les téléphones.

Illustration symbolique d'un téléphone sur lequel on voit sur l'écran, une cloche barrée et autour du téléphone des vagues symbolisant, sa vibration

Audio Livre et synthèse vocale

Durant les années 1930, aux États-Unis, la bibliothèque du Congrès investit dans le programme “Books for the Adult Blind Project”, pour rendre accessibles ses livres aux citoyens aveugles.

Sur l’image ci-dessous, un aveugle règle le volume d'un "Talking book", ancêtre de l'audio livre, à la bibliothèque pour aveugles de la New York Public Library 1954.

Photo qui représente un aveugle devant un appareil qui ressemble à un vieux tourne-disque avec une façade sur laquelle il y a un peu tensiomètre que la personne est en train de régler

La synthèse vocale, également connue sous le nom de Text-to-Speech (TTS), a été développée dans le but de convertir le texte écrit en parole. Elle a été développée pour la première fois de manière électronique en tant que technologie fonctionnelle par l’équipe japonaise 🇯🇵 du Docteur Noriko Umeda dans les années 1960.

Illustration avec une pile de livres de laquelle sort un fil connecté, un casque, on voit une bulle symbolisant, un son qui sort.

Cela a de nombreuses applications, notamment pour aider les personnes ayant des difficultés de lecture, comme les personnes aveugles, malvoyantes, avec une vue qui baisse sur des petits écrans, dyslexiques, ou juste pour faire autre chose en même temps, à énoncer l'information écrite. Elle est aussi utilisée dans diverses technologies : GPS, les assistants virtuels, enceintes connectés et les applications de livres audio.

Photo de 1984 où l'on voit Steve Jobs, montrer une disquette sorti de sa poche qu'il va introduire dans l'ordinateur transportable Macintosh posé à sa gauche et un bureau.

En 1984, Steve Jobs tout sourire avec son inoubliable phrase : “I’d like to let the Macintosh speak for itself”, nous montrait que la synthèse vocale était possible. Même si c'était fastidieux à utiliser, puisqu'il fallait spécifier la liste de chaque phonème que l'on souhaitait entendre, et que le résultat était parfois plus ou moins compréhensible.

Aujourd'hui, la lecture audio du contenu de l’écran est en natif sur les smartphones. Cela est loin d’être fastidieux, c’est pratique et du bout du doigt, on obtient un résultat fluide et parfaitement audible et utile pour beaucoup de personnes qui l’utilisent au quotidien et pour des besoins différents.

Photo de l'écran d'un iPhone, montrant l'écran de réglage de l'activation de la fonction d'accessibilité  "Énoncé la sélection".

Et dans le monde du divertissement audiovisuel…

La télécommande a été inventée pour des personnes à mobilité réduite et maintenant, c'est un standard pour toutes les télévisions.

Photo de la Zenith Space Commander 600 (1965). Elle possède 4 boutons auto alimenté par un circuit piézo-électrique. Un pour marche/arrêt ; un pour couper ou remettre le son ; deux autres pour changer de chaîne (en avant ou arrière).

La télécommande est devenue incontournable dans le monde multimédia et les smartphones sont devenus des “télécommandes universelles”.

Illustration, avec, comme titre, « All in One ». avec au centre, un smartphone qui contrôle visiblement une boîte circulaire du type de tique domotique, et début autour, avec des normes radiofréquence, infrarouge et des symboles d'objets connectés en tout genre.

Les 2 ingénieurs Malcolm Cecil 🏴󠁧󠁢󠁥󠁮󠁧󠁿 et Robert Margouleff 🇺🇸 ont créé une machine, le TONTO permettant enfin à Stevie Wonder (aveugle 🇺🇸) de composer les arrangements, créer des sons et au final de jouer plus librement la partie synthé de ces créations musicale, ce qui ne lui était pas impossible avant. Stevie Wonder sera ainsi assisté de Malcolm Cecil et Robert Margouleff pour paramétrer ce tout premier “orchestre de synthétiseur”. On peut les voir sur cette image ci-dessous, sur cette grosse machine en studio travaillant sur le légendaire morceau “Superstition” de 1972 (si vous souhaitez vous rafraîchir la mémoire, voilà le morceau de 4’26” sur la chaine Youtube de Stevie Wonder ♪).

Après plusieurs autres morceaux cultes et 4 albums avec Stevie Wonder, Malcolm Cecil et Robert Margouleff ont continué de l’utiliser avec d’autres pointures, comme Quincy Jones, Billy Preston … Tout ceci a marqué l’histoire de la musique populaire et aidé à la démocratisation et aux simplifications des synthétiseurs.

Image du TONTO : il se compose au fond d'une pièce de huit blocs imposants (rempli de boutons et potentiomètre et d'une hauteur supérieure à celle d'un homme) disposer en acte de cercle. On y voit  également au milieu d'autres composantes à hauteur de mains y compris un premier clavier électronique. Au premier plan, on distingue 2 consoles type mixage avec plusieurs rangées de potentiomètre. Et un second clavier électronique.Image de Malcolm Cecil, Stevie Wonder et Robert Margouleff en studio travaillant sur le fameux morceau “Superstition”
Pochette de disque de l'album « Talking book » avec le fameux morceau “Superstition”

Depuis 2011, avec la sortie de GarageBand sur iOs, certains artistes compositeurs créés directement sur leur iPhone. En 2017, Steve Lacy produit la chanson “PRIDE” à l'aide de GarageBand sur son iPhone 6 pour Kendrick Lamar.

Image, montrant à gauche Malcolm Cecil écartant les bras pour utiliser son énorme instrument TONTO. Au milieu une flèche de transition vers la droite. Et à droite, une image d'un iPhone où l'on voit des doigts qui utilisent l'application GarageBand lancée avec l'image d'un synthétiseur (clavier en bas et boutons de réglages sur le haut). On voit le logo de Garage Band qui est autre qu'une guitare électrique blanche sur un carré avec un fond oranger en dégradé.

Pour résumer

Nous avons donc vu que le monde du handicap booste les usages, les innovations et les possibilités du numérique dans notre quotidien.

Un prochain article explorera pourquoi l’accessibilité mobile est un enjeu clé, bien au-delà des obligations légales, et comment un numérique inclusif profite à tous.

Autres références pour aller plus loin :