Développeurs, défendez vos méthodes de travail sans conflits grâce à la Communication Non-Violente !

le 10/04/2018 par Etienne Girot
Tags: Product & Design

Dans mes précédents articles (épisode 1, épisode 2), j'insiste, à travers le récit de mon expérience personnelle, sur la nécessité de mieux se connaître et surtout de mieux communiquer quand on est développeur. Certains d’entre vous, m’ont répondu “Super ! Je me reconnais beaucoup dans ce que tu décris, mais… à partir de là, concrètement je fais quoi ?”

Bien sûr, comme pour toute question qui vaille la peine d’être posée, ici, pas de silver bullet… Mais, j’aurais tendance à dire que si vous partez sur l’apprentissage de la Communication Non-Violente (CNV) vous ne serez pas déçu. C’est une méthode qui, à mes yeux, présente un retour sur investissement très intéressant : c’est simple à appréhender, certains enseignements de cette méthode sont actionnables immédiatement et surtout, c’est extrêmement puissant !

La CNV, c’est loin d’être nouveau. Marshall Rosenberg, son auteur, commença à en poser les premières pierres dans les années 60. Vous imaginez donc que je ne suis pas le premier à écrire sur le sujet. Etant donné l’énorme étendue des ressources disponibles en ligne, je me demande ce que je vais bien pouvoir vous apporter de plus, voyons voir...

Si vous êtes arrivé jusqu’ici, c’est sûrement que vous appartenez à l’une des catégories suivantes :

  1. Vous n’avez jamais entendu parler de la CNV ? (C’est presque chose faite).
  2. Vous n’avez pas jugé important de vous pencher sur la question.
  3. Vous avez essayé et vous avez renoncé.

Mon challenge : un article top chrono pour vous donner les premières billes et vous donner envie de creuser !

Pour cela, je fais le choix délibéré de faire de grandes coupes dans l’approche théorique et psychologique de la méthode afin de me concentrer sur l’aspect pratico-pratique applicable dans notre vie quotidienne de développeur.

Approche théorique (passée à la centrifugeuse et filtrée deux fois)

La CNV est une méthode de communication qui a pour but de soigner la forme du message que j’exprime, sans en changer le fond, de façon à ce que mon interlocuteur reçoive ce dernier sans heurt. En soignant ainsi la forme du message, mon interlocuteur est plus à même d’en saisir le fond tel que je le ressens et il est dans de meilleures dispositions pour accéder à mes demandes (s’il y en a, et s’il le veut et peut).

La CNV se base sur l’empathie que l’on s’accorde à soi et aux autres en prenant conscience ...

  • … des jugements que l’on émet sur les choses et les êtres (« vrai » ou « faux » / « bien » ou « mal »).
  • … des sentiments et des besoins qui nous habitent et en assumant la responsabilité de ces derniers.

Ce qui est important pour moi dans cet article c’est surtout de vous présenter comment exprimer une critique en CNV ; ce qui vous permettra de travailler sur votre assertivité. Notez tout de même que la CNV ne sert pas qu’à ça. C’est aussi une posture d’écoute et une méthode qui permet d’exprimer d’autres sentiments (tels que la gratitude) !

Passons à la pratique !

Trève de bla bla, en selle. Vous êtes développeur et vous dites à votre manager :

“J’en ai marre qu’on ne fasse pas assez de tests !”

Sans CNV, voici ce qui risque de se passer :

Vous : J’en ai marre qu’on ne fasse pas assez de tests !

Votre Manager : Pardon ?

Vous : Ben oui, on passe tout notre temps à faire des nouvelles features qu’on livre en direct sans jamais les tester !

Votre Manager : Non mais tu rigoles ? Moi je trouve que vous en faites trop ça avance pas !

Vous : Trop !? ‘Vaut mieux entendre ça que d’être sourd tiens ! Il y a de trous béants dans la raquette, tu te rends pas compte. ‘Faut qu’on en fasse beaucoup plus !

Votre Manager : Ben si justement que je me rend compte ! Et je te dis qu’il y a en trop !

while (true) {

Vous : Oh que non.

Votre Manager : Oh que si.

animosité++;

probabilitéDeTrouverUnTerrainDentente--;

}

Photo from GratisographyAvez-vous déjà vécu ça ? Avez-vous déjà évité de confronter votre manager (ou quelqu’un d’autre d’ailleurs) par crainte d’avoir ce genre de conversation stérile et contre-productive avec lui ? Si oui, la CNV est faite pour vous !

Pour éviter de tomber dans ce genre d’impasse, la CNV nous invite à exprimer notre critique en 4 étapes :

  1. Partir d’une Observation (vérité de premier-ordre) et non de jugement de valeur
  2. Exprimer le Sentiment intrinsèque qu’elle nous provoque
  3. Expliciter le Besoin insatisfait qui est à l’origine de de ce sentiment
  4. Formuler une Demande à mon interlocuteur qui contribuerait à la satisfaction de ce besoin

Vous : Pour info, on vient de livrer la feature d’affichage du panier de l’utilisateur en recette. Je dois dire que je suis vraiment pas serein voire complètement flippé sur ce truc. Je le sens pas...

Votre Manager : Ah bon ? Pourquoi ?

Vous : Ben tu sais, comme on avait convenu avec toi qu’il fallait absolument que cette feature soit prête pour la démo de cet après-midi devant le PDG, on a fait zéro test unitaire pour être dans les clous. J’aimerais éviter qu’on la mette en prod telle quelle et que ça nous claque dans les pattes à l’improviste… Surtout si on s’en rend compte le mois prochain en plein développement de la feature de facturation. On va vraiment pas avoir le temps d’absorber les deux. J’aurais besoin d’être sûr que ça tienne la route.

Votre Manager : Ouais, c’est sûr que ça pourrait être bien...

Vous : Est-ce que ça t’irait de …

  • repousser de 2 jours le développement de la feature de facturation pour poser des tests unitaires ?
  • prévoir 2 jours dans le prochain sprint pour poser des tests unitaires ?
  • planifier, à minima, une review collective avant la mise en prod ?

Voilà, c’est tout : 4 étapes easy-to-use vous permettant d’exprimer et défendre vos convictions (aussi polémiques soient-elles) sans craindre que votre interlocuteur ne vous tombe dessus à bras raccourci. A la prochaine !

(Vous : ) Euuh minute papillon ! Il se fiche de nous là !?

(Moi : ) Ben quoi ?

(Vous : ) Euh… Primo les exemples de dialogue sont fictifs donc forcément : ça marche ! Et puis deuxio… c’est quoi un jugement de valeur, une vérité de premier-ordre, un sentiment intrinsèque, un besoin insatisfait, hein ? C’est quand même assez léger comme article… Remboursé ! Remboursé ! Remboursé !

(Moi : ) Ah ! Donc vous voulez en savoir plus ? Super, c’est parti !

Un tout petit peu plus de théorie

Remplacer les jugements de valeur par des vérités de premier-ordre

Dans le premier dialogue, on émet une critique sur le ton d’une vérité universelle et incontestable qui repose sur un jugement de valeur : “J’en ai marre qu’on ne fasse pas assez de test”. “Pas assez” par rapport à quoi ? C’est combien “assez” ? En quoi “pas assez” est un problème ? En quoi en faire “plus” serait une solution ? On émet alors une critique en prenant pour référence une valeur “seuil” interne qui détermine ce qui est “bon” ou “mauvais” : d’où le terme jugement de valeur.

Face à une déclaration de ce type, mon interlocuteur va se sentir attaqué et va se mettre en position défensive, “se braquer” et me répondre dans le même registre : “Moi je trouve qu’il y a trop de tests”. Ça y est, vous être fichu : C’est quoi “trop” ? On rentre dans une spirale de subjectivité stérile. Pour éviter tout dérapage de ce type, on commence par borner la discussion en contextualisant notre critique dans une situation observable par les deux parties qui ne fait pas l’objet d’interprétation : autrement appelée une vérité de premier-ordre.

Exprimez vos sentiments tels qu'ils vous appartiennent

L’art de ne pas heurter mon interlocuteur en exprimant une critique repose sur la dose d’empathie que je vais réussir à établir entre lui et moi. Cette empathie est le fruit du partage d’un sentiment qui m’expose moi et moi seul (~ une vulnérabilité). Par exemple, on pourra dire “Je suis...

  • … perdu
  • … frustré
  • … en colère
  • … paniqué
  • … triste
  • … stressé
  • … vulnérable”

Mais on tâchera d’éviter les adjectifs qui mettent en jeu une responsabilité de l’autre tels que : “Je me sens...

  • .... attaqué
  • … incompris
  • … délaissée
  • … mis à l’écart”

Dans le cas contraire, on induit l’idée que la façon dont je me sens est une conséquence du comportement de l’autre. En d’autre terme : on l’accuse. Exprimer un sentiment “intrinsèque” c’est empêcher celui-ci d’être réfuté (ex. “Mais non voyons, je ne te mets pas à l’écart”). Vous trouverez ici une liste d’adjectifs “valides” du point de vue de la CNV.

L’important est de créer l’empathie (l’autre comprend ce que je ressens) pas nécessairement la sympathie (l’autre ressent ce que je ressens).

Attention : On évoque son sentiment via des phrases de type “Je suis” ou “Je me sens” et non “Je trouve que” ou “Je pense que” qui mène le plus souvent à l’expression d’un jugement.

Identifiez et exprimez les besoins à l'origine de vos sentiments

La CNV met en avant les jugements de valeur comme étant les symptômes d’un besoin insatisfait. Par exemple : “Tu parles trop fort” est le symptôme du besoin qui m’est propre de plus de silence. Ici aussi, on reste dans le domaine de l’intrinsèque. On expose la source de notre sentiment sans en faire porter la responsabilité à son interlocuteur. Vous trouverez ici, des exemples de besoins.

Attention : On évitera de formuler un besoin de type “J’ai besoin que tu…” qui fait l’état d’un besoin extrinsèque et mène à la perception de mon besoin comme attaque par mon interlocuteur.

Faites une demande qui ne soit pas une exigence

La frontière entre demande et exigence est ténue. Notre interlocuteur perçoit nos demandes comme des exigences dès lors qu’il pense être critiqué ou puni s’il n’y accède pas. S’il est possible d’obtenir “gain de cause” par l'expression d’une exigence, celui-ci aura forcément un coût (ressenti, mauvaise volonté, comportements passifs-agressifs, …).

Pour aller plus loin