Culture Innov' : Le Covid étincelle au moteur de l’innovation & révélateur de vos intrapreneurs ?

Introduction

Le 12 mars 2020, date de mon anniversaire, je ne suis pas près de l’oublier, Emmanuel Macron fait les premières annonces de fermetures d’établissements. L’ordre établi vacille … non il commence peut être une mutation en tout cas il va se suspendre le temps du confinement et de l’urgence sanitaire. Les intrapreneurs de tous horizons vont bientôt se dévoiler et entrer dans la danse. Aussi méconnus que puissants, ils vont se révéler parfois de manière parfaitement inconsciente dans des circonstances extraordinaires que l’urgence sanitaire impose.

Innover c’est introduire quelque chose de nouveau dans quelque chose d’établi (dixit votre dictionnaire préféré). Ce qui empêche d'innover : les entreprises n’y croient pas vraiment - les initiatives sur le côté n’ont pas ou peu d'impacts ou finissent en gaspi budgétaires par manque de  rigueur dans leur démarche. Mais en fait, c’est aussi trop difficile d’aller contre l’ordre établi en tout cas cela demande du courage, de la persévérance, une discipline de fer que très peu d’entreprises arrivent à faire aboutir. Il faut dire que “le système immunitaire” de l’entreprise préservant l’ordre établi est tellement puissant. L’entreprise aimerait innover mais sans en comprendre les changements que cela signifie pour elle et devient schizophrène coincée dans des injonctions paradoxales: Ok pour innover mais le business as usual est prioritaire, faire un MVP oui mais pour tout le monde, travailler en mode fail fast mais sans droit à l'erreur...

Et certains collaborateurs, moteurs dans la transformation de leur entreprise de dire “Ah si on avait une baguette magique on ferait sauter tous ses freins qui nous empêchent d’agir et d’innover … juste pour voir.”

Le confinement va pendant 2 mois dans des circonstances exceptionnelles révéler des intrapreneurs de  tous horizons....

L’urgence un moteur

Des problèmes, que dis-je des urgences précises, économiques et parfois vitales sont à traiter pas dans un mois, pas dans une semaine, là maintenant tout de suite. Des élans de mobilisation explosent, les freins, les verrous habituels et sautent en moins de 24 heures parfois. Les réglementations y compris comme pour la télémédecine sont adaptées rapidement. Tout ce que l’on conseille à nos clients sur l’innovation ou la transformation digitale et sur lequel ils freinaient, on le voit se mettre en place là sous nos yeux en un temps record sans que personne du management n’ait rien à redire c’est même parfois le contraire. Alors le Covid est-il le meilleur acteur de l’innovation, de la transformation digitale et du changement dans les entreprises ?

Pourtant au départ tout paraît compliqué voire impossible. Le sentiment d’urgence est un moteur incroyable pour se mettre en mouvement même en dehors de son champs d’action traditionnel. Chacun se mobilise pour par exemple et de manière très emblématique produire des masques, des protections, des surblouses, des respirateurs ou des solutions hydroalcooliques. Pour tous ceux qui se mobilisent les urgences sont claires et c’est vital de le faire.

On n’a jamais eu une stratégie aussi claire et partagée

Un atout, on peut suspendre voire on ne peut plus faire le business as usual car les règles ont changé. On est à l’arrêt, il y a des problèmes profonds et invalidants à régler ou bien on passe en mode distanciel, on est obligé d'innover soit en court-circuitant les process classiques habituels soit en imaginant d’autres. En tout cas, il faut inventer une autre manière de faire.

Les problèmes sont parfaitement clairs et immédiatement compréhensibles par tout le monde. Chacun est focus sur un problème bien précis et cherche comment le réduire efficacement. Les innovations seront là pour régler “un putain de problème” centré sur les utilisateurs. Qui veut aider ?... La mobilisation est immédiate et suffisante. On avance.

Au sein même des hôpitaux enlisés dans la crise sociale depuis des années, les personnels se sont soudain réorganisés magiquement en quelques jours. La magie : sous l'urgence, laisser les personnels soignants se réorganiser plutôt que d'imposer des organisations par le management administratif et souvent infantilisantes.

Pas de ROI financier attendu, ce n’est pas le sujet là maintenant, on doit d’abord résoudre un problème. Un frein de moins à gérer. Pour autant les équipes ne font pas n'importe quoi, les risques sont vite détourés et sont mitigés immédiatement ou assumés par l'ensemble des parties prenantes en cas d'impossibilité de mitigation.

Si la sécurité ou la performance sont cruciales, des solutions sont trouvées par les équipes ou le département sécurité qui devient moteur dans la résolution des problèmes.

L’organisation en recherche permanente pour faire mieux

La contrainte moteur (est mère) de la créativité. On adapte ses ressources disponibles, on fait avec ce qu'on a. On adapte les techniques et les compétences à disposition. De petite équipes expertes, ramassées, très autonomes se mettent en place, on itère vite (ex. l'itération d'une semaine en développement informatique ne fais plus peur à personne), on apprend, on ajuste/on recommence. Les décisions sont rapides, on ne fait plus de rétroplanning à 10 mois. Les itérations avec ajustements / échecs sont acceptées. Mistake will be made mais comme on itère vite elles sont contrôlées. "La semaine passée on était loin regarde ou on en est maintenant." La quantité de masque produite double en 2 semaines à peine. Des fonctionnalités sur l'App qu'on croyait impossibles en 15j sont là en seulement 2 itérations.

On n’a pas le temps de tomber amoureux de son produit. Tout de suite sur le terrain, la mesure, les utilisateurs, te font un feedback instantané sans chichi. “C’est bien continue, il m’en faut plus”. Et on est déjà en train de réfléchir à comment produire plus ou à développer la prochaine fonctionnalité indispensable. Ou si ça ne vas pas, on ajuste le périmètre et on recommence. La base et la tête se rapprochent dans l'écoute et les prises de décisions sont faites par les opérationnels du terrain en concertation rapide - je suis même sûr que le middle management s'adapte instantanément, il choisit son camp faire ou décider vite. Les communications changent, elles se multiplient, les discours pipo bingo, langue de bois disparaissent.

L’effectuation c’est inné chez certains

Regardez ce qu’une situation d’urgence et exceptionnelle arrive à révéler chez certains, c’est assez incroyable….ben en fait non c’est juste en train de se passer.  Tout ceci est possible alors que les personnes impliquées ne sont pas nécessairement des entrepreneurs par nature. Pourtant c’est exactement ce qu’elles font. Et elles le font de manière innée en se mettant en mouvement. Elles agissent sans le savoir selon les principes de l’effectuation.

Philippe Silberzahn nous rappelle ses principes que nous illustrons avec deux cas réels vécus en ce moment.

Les urgences :

  1. Les visières sont un moyen de protéger le personnel de santé, il y a pénurie. Justement, l’hôpital à côté de chez Jean cherche à en commander.
  2. Ne connaissant pas rapidement les places disponibles dans chaque établissement, les hôpitaux de la région Grand Est ne savent pas gérer efficacement les flux entrants des patients Covid vers les services de réanimation capables de les accueillir
  • Principe : Faire avec ce que l’on a sous la main
    1. "Jean" fabrique une visière avec son imprimante 3D et une feuille intercalaire de classeur
    2. Antoine est médecin urgentiste il a monté un groupe WhatsApp pour que les médecins puissent informer et être informés des lits disponibles en réa dans un établissement de sa région
  • Principe : Agir en perte acceptable
    1. Jean fabrique 2 ou 3 visières avant de les montrer aux personnels de santé
    2. Antoine prend 1h par jour pour centraliser les échanges et maintenir une carte qu'il diffuse en ligne 1 fois par jour
  • Principe : Co-construire l’action avec des parties prenantes engagées
    1. Une entreprise spécialisée en impression 3D a eu vent de son initiative, elle lui propose de diffuser le plan 3D plus largement, d’en imprimer et de gérer l’approvisionnement en matière première pour les "makers" de différentes régions
    2. Une école d’informatique de la région et l’INRIA ayant eu vent de l’initiative d'Antoine, elle s'est proposée pour construire une app mobile accessible aux médecins et un site afin de maintenir la liste en temps réel
  • Principe : Tirer parti des surprises
    1. Jean se met en relation avec des "makers" sur Facebook qui participent à la même initiative à côté de chez lui et partout en France
  • Principe : Créer le contexte, ne pas le subir
    1. Les médecins de l’hôpital valide sa visière. On n’attend pas une validation de la part d’une autorité supérieure (ARS ?), ce sera pour plus tard

Conclusion

Mais alors pourquoi parler de l’effectuation, cette approche empirique n’est pas une méthode, ce n’est pas une recette miracle non plus, mais c’est un ensemble de postures qui vont nous servir pour “l’après”. L’après est inconnu et nous entrons dans une zone d’incertitude très élevée. Agir selon les principes de l’effectuation est parfaitement adaptée à ce type de situation.

L’effectuation, c’est moins apprendre du passé que de se mettre en mouvement dans l’inconnu. L’effectuation ne porte pas de paradigme visionnaire. C’est parfait pour avancer dans l’inconnu de manière non prédictive. Construire mais pas prédire.

Certains d’entre nous sont sidérés, désorientés en temps de crise là où d’autres sont donc capables d’entreprendre, prenons en conscience à tous les niveaux de notre entreprise. Nous en aurons besoin bientôt de toutes ces qualités et surtout de ces postures pour mobiliser nos ressources afin de nous adapter nous-mêmes et notre entreprise face à l’incertitude et la crise aiguë qui s’annonce. Certains se mettront en mouvement d’autres seront tétanisés...

… mais nous savons que c’est possible n’importe où.

Et demain ?

Vous savez désormais que certains (je suis même sûr que vous ne les aviez pas dans vos radars pour certains) dans vos organisations sont capables de se mobiliser vite et sont en capacité de s’organiser et d’innover pour résoudre des problèmes que vous pensiez insolubles rapidement. Faites des rétrospectives et apprenez à reproduire certaines des postures croisées. Autorisez vous cette possibilité de mobiliser en toute autonomie et de manière facilité, pendant des temps courts et limités des équipes sorte de Squads à résolution de problèmes / à innovation avec l'idée qu'au fur et à mesure la maturité de l'entreprise grandira.

Enfin, et pour illustrer ces postures, souvenez vous qu’en 1948 W. McKnight (Président de 3M jusqu’en 1966) écrivait ceci et en faisait un guide pour 3M encore aujourd'hui :

“As our business grows, it becomes increasingly necessary to delegate responsibility and to encourage men and women to exercise their initiative. This requires considerable tolerance. Those men and women, to whom we delegate authority and responsibility, if they are good people, are going to want to do their jobs in their own way. Mistakes will be made. But if a person is essentially right, the mistakes he or she makes are not as serious in the long run as the mistakes management will make if it undertakes to tell those in authority exactly how they must do their jobs. Management that is destructively critical when mistakes are made kills initiative. And it's essential that we have many people with initiative if we are to continue to grow.”

Pas mal n'est-ce-pas ? Une pandémie plus tard on comprend mieux la teneur profonde de son propos.

W. McKnight (src : 3M Canada)

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