Comptoir OCTO - La conception inclusive : créer pour tout le monde, avec tout le monde.

Le 06 Mars, nous avons eu le plaisir d'assister au comptoir dédié à la conception inclusive, animé par Ophélie Lamarque et Candice Larmangeat, toutes deux Product Designers chez Octo. Cet événement de 25 minutes, suivi d'une session de questions / réponses, a offert une plongée enrichissante dans les enjeux et les bonnes pratiques du design inclusif.

Qu'est-ce que l’inclusion ?

La définition de l'inclusion, telle qu'on la prend dans le dictionnaire, s'agit de l'action d'inclure quelque chose dans un tout, un ensemble. Par ailleurs, l'inclusion sociale consiste à permettre à chaque citoyen de participer pleinement à la société. Ce qui est intéressant de noter est la différence entre l'inclusion et l'intégration. L'intégration implique qu'une personne qui ne correspond pas à la norme doivent suivre un circuit spécialisé.Alors que quand on parle d'inclusion, on considère que tout le monde est normal et que c'est à l'environnement de s'adapter et de se rendre accessible à tous.

L'inclusion est un vaste sujet qui pourrait être élargi au domaine des politiques publiques. Dans ce comptoir, Ophélie et Candice aborderons le concept d'inclusion dans le cadre de la conception de produits et services uniquement, en racontant leur expérience en tant que Product Designer.

Qu'est-ce que la conception inclusive ?

Nous avons souvent une définition assez souvent assez floue de ce qu’est l'inclusion dans le contexte du design. Nous vous proposons cette définition : un processus de création qui s'appuie sur la diversité humaine afin de concevoir des produits et services utilisables par tous.

Source : NN/g Inclusive Design

L’exemple du design inclusif chez Microsoft

L’entreprise Microsoft a été assez précurseuse sur le sujet et a publié un guide du design inclusif dans lequel sont rédigés des principes, dont celui-ci “Solve for one, extend to many”, qui consiste à dire que résoudre pour une personne en particulier peut aussi profiter à d'autres personnes.

Kate Holmes, responsable du design inclusif chez Microsoft, a donné une interview dans laquelle elle partage ses réflexions sur les idées reçues concernant la conception inclusive. D’une part, elle évoque la conception inclusive comme étant un processus à ne pas considérer comme un résultat en intégrant des communautés qui sont exclues dans le processus de conception à chaque étape. D’autre part, elle distingue la conception inclusive de la conception universelle, la conception universelle qui vise à créer des solutions qui soit applicables à tous et toutes, sans nécessairement inclure ces communautés dans le processus de conception.

Par ailleurs, elle évoque également le risque de banalisation du terme inclusion et de faire attention à ne pas l’utiliser avec une tournure à des fins marketing. L’important est donc d’incarner l'inclusion dans la manière de concevoir des produits en intégrant les personnes concernées.

Source : Interview Kat Holmes par Fast Company

La diversité en chiffres

L'inclusion représente diverses situations issues de la diversité. L'inclusion peut nous faire penser au handicap de prime abord, mais ce n’est pas que cela et représente tout un tas d'autres vulnérabilités.

On peut aussi bien être exclu par son âge que par sa situation de vie, sa neurotypique, ou encore par une discrimination. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser ou entendre, cela ne représente pas qu'une partie infime de la population. Par exemple, en 2024, on sait que 14,7 millions de Français, soit 21,5 % de la population, ont plus de 65 ans. Par conséquent, si votre produit n'est pas adapté aux problématiques que peuvent rencontrer ces personnes, vous prenez le risque d'exclure toute cette partie de la population.

Un autre chiffre assez frappant, surtout pour les concepteurs de produits numériques : principalement en France, 15 % de la population âgée de quinze ans et plus sont touchés par l’illectronisme. Ce qui représente 8 millions de personnes en situation d'illectronisme. L’illectronisme représente la difficulté, voire l'incapacité à utiliser les appareils numériques et les outils informatiques en raison d'un manque ou d'une absence totale de connaissance à propos de leur fonctionnement.

Source : ANLCI
Source : LeMonde

Différence entre accessibilité et design inclusif

On pourrait avoir tendance à mettre l’accessibilité et l’inclusion en opposition. Ces deux notions se rejoignent complètement, mais ont quand même des légères différences.

Quand on parle d'accessibilité, on parle d'une exigence pour rendre un produit utilisable par des personnes en situation de handicap. L'accessibilité est mesurable au travers de la réalisation d’audits d’accessibilité. Il existe des référentiels sur lesquels nous pouvons nous appuyer, par exemple le RGAA. Alors que le design inclusif est plutôt une approche ou une démarche qui cherche à répondre à une variété de besoins en tenant compte d'un plus grand nombre de facteurs et de diversité humaine.

Ces deux notions ne sont pas à mettre en opposition, au contraire, elles sont complémentaires. L'accessibilité fait partie de l'inclusion, mais elle tend à aller un peu plus loin que juste prendre en compte le handicap et prendre en compte des notions de diversité.

Comment intégrer l'inclusion dans le design ?

Il ne suffit pas de concevoir quelque chose pour une population issue de la diversité pour se dire qu'on est inclusif. Selon nous, c'est quand vous aurez impliqué dans le processus de conception quelqu'un qui auparavant n'aurait pas pu y participer, que là vous vous inscrirez réellement dans une démarche dite de conception inclusive.

L'absence d'inclusion dans les produits qu'on développe peut aussi venir du manque de diversité dans les équipes de conception. Une équipe diversifiée permettra d'ouvrir le dialogue sur des problématiques ou des sujets auxquels nous n’aurions pas pensé sans cette diversité.

Les 3 grandes étapes où il est essentiel de prendre en compte la diversité des utilisateurs
  1. Recherche et observation : Il est important (autant que possible) de mener des entretiens avec un panel d’utilisateurs diversifiés pour être représentatif de la société et comprendre différentes réalités (différents âges, genres, cultures, modes de vies, handicap, aisance numérique...). Avoir construit un panel d’utilisateurs représentatifs aboutira à la conception de personae inclusifs qui représenteront cette diversité et éviteront les biais inconscients.
  2. Idéation et conception : L’inclusion peut aussi prendre forme en organisant des ateliers de conception accessibles. Comment on arrive à générer des idées et à concevoir un produit qui réponde aux enjeux réels de nos utilisateurs en tenant compte de leurs vulnérabilités et des problématiques auxquelles ils font face. Intégrer un contenu inclusif et accessible, par exemple en utilisant le FALC (Facile à Lire et à Comprendre), des visuels adaptés, un langage épicène, et en respectant les normes d’accessibilité comme le RGAA."
  3. Tests et évaluation : Expérimenter les solutions dans divers contextes et avec des utilisateurs concernés.
Focus sur le personae inclusif

Ophélie partage son expérience où elle a appréhendé la conception inclusive via la conception de personae.

La méthode des personae spectrum

Des personae sont des personnes fictives qu'on appelle archétypes, qui permettent une vision partagée par l'équipe produit de qui sont les utilisateurs afin de répondre au mieux à leurs besoins et donc leur construction. Leur construction nécessite des données utilisateurs issues de recherches, qu'elles soient qualitatives et quantitatives.

Les Personae Spectrum utilisés par Microsoft permettent de comprendre les inadéquations et les besoins associés à une situation spécifique, qu’elle soit permanente, temporaire ou situationnelle. C’est une méthode qui peut être utilisée pour aider à la prise de recul sur sa propre conception de personae.

Si on prend l'exemple de l’ouïe, dans le cadre de la conception d'un service de messagerie vocale :

  • un utilisateur sourd ne pourra pas entendre les messages vocaux.
  • un utilisateur avec une otite aura des difficultés à entendre un message audio
  • un utilisateur dans le métro ne pourra tout simplement pas écouter ces messages à cause du bruit environnant.


Ce qu’il faut retenir est de concevoir des solutions qui profitent à tout le spectre et valider que les solutions qui soient proposées fonctionnent pour tout ce spectre et pas seulement pour une catégorie d'utilisateurs.

Une réflexion sur les personae genrés VS neutres

Un personae peut rapidement contenir des biais d’exclusion. Le risque est de concevoir pour un "utilisateur moyen". Que fait-on des utilisateurs qui ne font pas partie de la majorité statistique ? Il n’existe pas d’utilisateurs « moyen ». On a tout un tas de personnes (d’horizons et d’expériences variées) avec différentes capacités qui pourraient utiliser votre produit.

L’idée de neutraliser le genre dans certains cas peut être une approche intéressante, notamment pour éviter les stéréotypes ou les biais implicites. Cependant, il est parfois nécessaire de conserver cette dimension lorsque le genre influence réellement l’expérience utilisateur (ex : produits de santé, cosmétiques, sécurité en ligne, etc.).

Cela pose la question plus large de la représentation dans la conception UX :

  • Doit-on systématiquement créer des personas neutres ?
  • Comment s’assurer que nos personas restent inclusifs sans gommer des réalités importantes ?
  • Quelle approche privilégier pour capturer la diversité des expériences sans tomber dans des simplifications excessives ?

Et vous, dans vos projets, comment abordez-vous cette question des biais et de l’inclusivité dans la conception des personas ?

Focus sur l’outil de l’Expérience Map

Il existe plusieurs méthodes pour organiser des ateliers inclusifs, et l’Expérience Map est un outil pertinent pour analyser et améliorer l’expérience utilisateur de manière inclusive. L’Expérience Map est une représentation visuelle du parcours utilisateur. Elle permet d’identifier les différentes étapes de l’interaction avec un produit ou service.

Elle se structure comme ceci :

  • Étapes du parcours (ex : recherche d’un produit, ajout au panier, paiement).
  • Actions des utilisateurs à chaque étape.
  • Points de contact (digitaux ou physiques) utilisés par l’utilisateur.
  • Points de douleur rencontrés au cours du parcours.
  • Émotions ressenties à chaque étape.
  • Solutions potentielles pour améliorer l’expérience.
Comment intégrer l’inclusion dans l’Expérience Map en quelques étapes :
  • Analyser le parcours standard : Identifier le chemin le plus emprunté par les utilisateurs sur le produit.
  • Se mettre à la place d’un utilisateur en situation de vulnérabilité (ex : une personne ayant un TDAH).
  • Identifier les difficultés spécifiques rencontrées par ces utilisateurs.
  • Déterminer où agir pour rendre le parcours plus accessible et inclusif.

Avant de mener cet exercice, il est essentiel d’avoir réalisé une phase de recherche approfondie sur les obstacles rencontrés par les utilisateurs concernés. Sans cette étape, il y a un risque de tomber dans des clichés et de ne pas adresser les véritables besoins.

L’idéal est d’inclure directement les utilisateurs concernés dans l’atelier afin qu’ils puissent partager leur expérience et aider à concevoir des solutions réellement adaptées. Ce processus permet d’optimiser l’accessibilité et l’expérience utilisateur en prenant en compte une diversité de profils dès la conception.

L'atelier "Tous Ensemble" : Un exemple concret

Candice a partagé un exemple d'atelier collaboratif, développé avec Luz Delgado Designer Stratégique chez Nexton Consulting, pour sensibiliser les participants au design inclusif. Cet atelier invite les designers à repenser une expérience sous le prisme d’une vulnérabilité spécifique (autisme, troubles anxieux, etc.).

Pour garantir une approche juste et pertinente, un groupe de recherche a été constitué avec Designer Éthiques. Cela a permis de développer :

  • Des personas représentant des utilisateurs en situation de vulnérabilité.
  • Des témoignages audio, permettant aux participants d’écouter des récits réels et d’entrer en empathie avec les personnes concernées.
Application concrète : Exemple de Leïla

Leïla, autiste, intègre une nouvelle entreprise et doit utiliser Slack pour collaborer avec ses collègues. Elle se retrouve rapidement submergée par :

  • La multitude de canaux de discussion.
  • L’afflux constant de notifications, perturbant sa nécessité de structure.

Cet exercice aide les participants à identifier les points de douleur vécus par des personnes ayant cette vulnérabilité dans leur parcours utilisateur.

Résultats et apprentissages

L’atelier permet d’identifier des opportunités concrètes d’amélioration, non seulement pour les utilisateurs en situation de vulnérabilité, mais pour tous les utilisateurs.

Ainsi, plutôt que d’imposer des contraintes de conception, il ouvre la voie à l’innovation inclusive, illustrant le principe : "Solve for one, extend to many".

Conclusion : Vers une approche plus inclusive

La diversité est une richesse qui nourrit la créativité, l’innovation et l’empathie. Cependant, nos biais et préjugés peuvent inconsciemment nous rendre exclusifs, notamment dans la conception d’expériences numériques qui reflètent uniquement notre propre perception du monde.

Prendre conscience de ces biais est un premier pas vers plus d’inclusion. Comme l’explique Samah Karaki dans L’empathie est politique, il est essentiel de questionner notre rapport à l’autre et d’élargir notre empathie.

En conclusion, s’ouvrir à des personnes différentes de notre cercle habituel, écouter sans juger, et découvrir d’autres récits permet de déconstruire nos préjugés et de concevoir des expériences plus inclusives.

Ressources et outils à explorer