Compte-rendu du Petit-déjeuner « Digital Studies – Au delà des recettes pour réussir dans le numérique »
Autour du Livre Blanc OCTO Technology « Digital Studies »
Nous nous sommes retrouvés le Jeudi 10/11 pour présenter le livre Blanc « Digital Studies » et favoriser l’appropriation de ses messages et de l’interprétation qu’il propose. Nous étions une centaine de personnes réunies d’horizons divers. Le véritable enjeu de la matinée était de débattre ensemble de la question du statut de la technique dans les entreprises et les organisations.
Retrouvez la présentation complète de Christian Fauré, et la vidéo du petit-déjeuner.
Digital Studies : pourquoi ce titre ?
Le titre est volontairement en anglais. Pourquoi ? Deux raisons à cela :
- Le terme Digital renvoie au « digit », à la main. C’est une utilisation qui se veut symbolique et qui fait référence à l’un des aspects du livre, à l’anthropologie, à la main, au silex.
- Le terme Studies renvoie quant à lui aux démarches d’études transverses pan-disciplinaires, comme par exemple les « gender studies ».
La proposition de ce livre blanc est simple : partager la réflexion d’OCTO sur la question de la transformation, sans verser dans un discours banalisateur qui n’aurait plus rien de saillant pour permettre d’appréhender les transformations digitales. Cela peut être surprenant pour certains, mais OCTO est de plus en plus sollicité sur les questions d’organisation du travail, d’évolution des modèles d’affaires, d’enjeux marketing – alors qu’OCTO Technology est majoritairement composée d’ingénieurs avec des expertises techniques
Pourquoi cette perspective technique est-elle devenue essentielle pour répondre à ces questions ?
Commençons par parler de vitesse et d’accélération
Avec l’accélération de l’évolution de la technique et de la technologie (le nombre de « devices » connectés, le nombre de brevets, etc.), nul ne peut plus ignorer la pénétration des outils et des systèmes techniques dans nos vies, quand ce n’est pas dans notre corps. La technologie génère et influence des phénomènes sociétaux que l’on ne peut plus ignorer. Depuis 15 ans, l’accélération est sans aucune mesure. Si l’on compare au silex, un des premiers outils techniques de l’homme, cet outil a accompagné l’homme pendant plus de 2 millions d’années. L’australopithèque et les premiers Homo ne le voyaient plus comme un objet technique, ils s’y étaient habitués ; c’était devenu un objet du paysage. Si la technique pouvait alors paraître inaperçue, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
La technique et son statut dans la mythologie grecque
Pour mettre un peu de distance avec l’actualité, revenons à l’une des sources de la culture Occidentale : la mythologie grecque.
Dans la mythologie, Prométhée (celui qui a toujours un temps d’avance et qui a le don de l’anticipation) à la demande de Zeus, doit distribuer les qualités à tous les animaux. L’un recevra la férocité, l’autre la rapidité, d’autres pourrons voler dans les airs, etc. Zeus donne à Prométhée un sac pour qu’il distribue ces qualités de manière équitable, car il est connu pour être particulièrement avisé dans ses choix.
Au moment de faire la distribution, son jumeau Épiméthée le rejoint et le supplie de lui laisser faire la distribution à sa place. Par sympathie pour son frère, Prométhée cède. Mais autant Prométhée est avisé, autant son frère jumeau est plutôt étourdi. Arrive ce qui devait arriver, au moment de donner une qualité à l’Homme, Épiméthée a tout distribué : il n’y a plus rien pour l’Homme, cet animal nu et sans qualité. Prométhée prend alors l’initiative de voler le feu (symbole de la technique) des dieux pour le donner aux hommes.
L’absence de qualité « intrinsèque » est alors métaphoriquement compensée par le don de la technique. Depuis toujours et en particulier dans la mythologie, l’homme est constitué par son rapport à la technique.
Sélection naturelle et artificielle
Afin de poursuivre la prise de recul, rejoignons Darwin et sa théorie de l’évolution : celle la sélection naturelle dans un environnement naturel. Il apparaît nettement que l’Homme est un animal qui n’est plus soumis à cette sélection naturelle : c’est la technique qui nous sélectionne. Ceux qui portent des lunettes en font l’expérience quotidienne, jusqu’à l’astrophysicien Stephen Hawking qui ne vie que grâce à tout un appareillage technologique. L’homme est déterminé par ses objets techniques, ses prothèses qui lui permettent de vivre. Nous sommes donc ce vivant qui poursuit la vie par d’autres moyens que la vie (par les artefacts techniques).
Ok, mais quid du trans-humanisme, et le thème de l’humanité augmentée : est-ce nouveau ?
Non, l’humanité change depuis le début, depuis toujours : cela fait plus de 2 millions d’années qu’il y a une humanité augmentée, portée par le processus d’hominisation.
Le processus d’individuation ?
Le processus d’hominisation, avec le rôle déterminant qu’y joue la technique, est un processus d’individuation. Le Livre Blanc Digital Studies propose un framework d’interprétation qui repose sur une triple co-individuation :
- L’individuation psychique, celle des individus que nous sommes.
- L’individuation technique, celles des objets et des systèmes techniques.
- L’individuation collective, celles des organisations.
Un individu est ce qui a une forme singulière (ce n’est pas une particule) et qui porte avec lui son principe d’individuation. Par exemple, on dira qu’une personne malade a des dysfonctionnements de son individuation, ou encore qu’un système technique qui se dégrade a un problème d’individuation.
Quelle est la spécificité de la transformation digitale ?
Le digital est d’abord le nouveau stade de développement des technologies d’écriture. Sylvain Auroux dans La révolution technologique de la grammatisation a utilisé le concept de grammatisation que l’on peut reprendre pour décrire le processus qui consiste à découper en parties, à discrétiser, un flux : par exemple le flux de la parole qui est découpé en phonèmes puis en lettres alphabétiques pour être couché sur le papier. Idem pour les enregistrements et l’écriture des sons par le gramophone, les mouvements par le chronographe et le cinématographe.
Avec les écritures numériques, c’est non seulement tous les enregistrements qui sont portés sous un format universel mais aussi la possibilité d’engrammer des comportements et des relations (le web des réseaux sociaux). Il est normal que la transformation digitale commence la plupart du temps dans le champ de la relation client.
Transformation ou disruption ?
Evoquons ensemble Jean-Marie Dru, président de TBWA : il a fait naître le concept de disruption, en France.
Sa spécialité était de redresser des organisations qui allaient mal et, pour y répondre, de trouver des stratégies de rupture qui sortent du cadre. Avec le succès de la démarche, celle-ci s’exporte aux Etats-Unis qui cherchent à traduire le terme « stratégie de rupture ». Le terme choisi est celui de « disruption ».
Si l’on évoque le dilemme de l’innovateur théorisé par Christensen, elle nous apparaît comme une version plus « fade » des propos de Jean-Marie Dru.
Dans les deux cas, quand ces derniers évoquent comment mettre en œuvre des démarches de rupture, ils sont assez aveugles de la question de la technique. Par exemple, dans les ateliers « What If… », la technique est peu présente comme source de disruption.
In fine, même ceux qui ont pensé la disruption ont refoulé l’importance et le statut de la technique.
La primauté de la question de la technique
Pour nous, il y a toujours au départ une technique. C’est elle qui permet de changer la donne. Par exemple, le cheval de Troie est un objet technique, astucieux. Est-ce que Troie est une épopée épique ? De guerriers ? Oui, mais n’oublions pas que la technique est la clé de la prise de la ville.
Il y a aujourd’hui une échelle de la disruption qu’instrumente l’écosystème des startups pour créer un choc auprès des acteurs en place, et cette échelle est celle de la technique. On connaît bien les discours de levée de fonds auprès d’un investisseur : « J’ai la technologie qui peut tout changer... ».
La Silicon Valley a un rapport attentif et sacré avec la technique, un rapport beaucoup plus fort avec le statut de la technique et donc de la disruption. En France, le clone de la disruption, c’est les barbares qui attaquent vos modèles d’affaires, « Aucune filière n’est épargnée ! ». La réalité en France, c’est que les acteurs travaillent, non pas pour aider à créer une rupture dans la stratégie des acteurs en place, mais juste à offrir un petit frisson à ces acteurs. Les clients de The Family par exemple sont les entrepreneurs, les potentiels licornes.
Technophobe ou technophile ?
Depuis 1 an, les US connaissent le blues des licornes. Ceux qui ont réussi, se disent, « Je ne me reconnais plus dans ce monde. Cela ne va pas dans le sens de ce que j’attendais. »
Chez OCTO, nous sommes convaincus que la technique, c’est un pharmakon ; à la fois, le poison et le remède. La technique peut avoir des vertus thérapeutiques comme toxiques. La question n’est pas de savoir s’il faut être pour ou contre. La question est de savoir ce qu’on en fait, bref de décider.
En un mot, c’est quoi l’enjeu ?
« J’ai la recette de la transformation mais je n’y arrive pas ». « Je respecte la consigne pourtant je n’y arrive pas ». Quand on livre une recette, il y a une part d’informulé et de non dit, et le problème est qu’aujourd’hui, la technique est passée sous silence. Quel statut accordons-nous, dans nos entreprises, à la technique ?
Selon Christian Fauré, il y a un véritable refoulement du statut de la technique dans les organisations. Le refoulement est un mécanisme de défense disait Freud. De manière collective et « mainstream », il y a un énorme refoulement de la technique. La technique est considérée comme de l’intendance, et l’on se contente d’avoir une stratégie puis de l’implémenter techniquement. On ne part jamais de la technique pour se poser la question de la stratégie. Le résultat est toujours une stratégie qui est « hors sol ».
Quelles sont les réponses possibles ?
Commençons par Culture Code : ce livre blanc réalisé par OCTO s’adresse aussi aux managers, et pas uniquement aux développeurs. Certains chapitres leurs sont même explicitement dédiés. « Better Place With Better Code » : nous y voyons un renversement de priorité.
Il est possible de poursuivre par des séminaires collectifs : pour donner la graine, et non pas uniquement se former.
Pour aller plus loin, on peut également travailler sur sa culture et chercher à la hacker, à pratiquer le culture hacking. La culture est une force de rappel puissante. Le Culture Evidencing participe aussi à cette transformation pour éviter d’entretenir des situations qui dysfonctionnement en cherchant initialement à les résoudre.
D’une autre manière, les ateliers d’idéation « What IF » sont une forme de travail collectif qui peut être sollicitée pour faire l’expérience de cette révolution copernicienne, qui place le technique au tout premier plan.
Enfin, les tech trends et leurs analyses représentent des sources d’information qu’il faut savoir lire et interpréter.
Start Me Up : une piste d’actions ?
Une des difficultés majeures de la transformation et de l’innovation, c'est que personne n'est contre. Personne ne peut être contre l'innovation ! Et en même temps, très peu d'organisations sont réellement prêtes à introduire puis diffuser quelque chose de nouveau dans quelque chose d'établie. Quelles sont les conséquences de vouloir sans être prêt, sans savoir ce que l'on cherche ? Quelles sont les intentions ? Les motivations de l'innovation ? Pourquoi je cherche à innover autrement ?
Fondamentalement, notre conviction est qu'on ne peut pas innover de manière transformante en étant emprisonné par une certaine manière de faire, de travailler. "Quand on a qu'un marteau, on voit tous ces problèmes comme des clous". Il faut donc à la fois développer une autre manière de faire en étant conscient des conflits potentiels que cela peut générer et la prise de risques que cela représente.
Refuser de mettre la technique au second plan
Le volume 1 se termine sur la question de l’éthique technologique autrement dit l’éthique des hackers.
Qu’est-ce qu’on entend par « Ethique » ? Ce n’est pas la question du bien et du mal. Revenons au sens premier « Ethos » ; les comportements routiniers, les us et coutumes chez les grecs. Comment il se comporte au quotidien ? On ne connaît vraiment quelqu’un que quand on le voit au quotidien.
Le monde aujourd’hui n’est plus un système naturel. Nous sommes plongés profondément dans la technique. On ne doit pas refouler la technique. Sinon, la technique rend le monde immonde. Quel rapport peut-on avoir avec les objets techniques au quotidien : un rapport d’empathie ? Il nous faut creuser dans notre quotidien notre rapport à la technique et y découvrir notre éthique technologique.
Digital Studies Vol. 2 : une question de style !
Le volume 2 sera axé sur la question des styles d’architecture. Un style est un système de contraintes que le système doit pouvoir respecter.
Le digital a grammatisé l’ensemble des interactions et des relations. Depuis, toute forme d’interaction produit des données, de plus en plus en continu, sous forme de flux.
Cette transformation implique d’adopter un style d’architecture qui permette de faire face au flux. Ce point explique l’émergence des produits de « data flow ». Aujourd’hui, même les utilisateurs sont pris dans le flux. Cette logique de flux de données pose la question de la collecte de ces données et cette question influera le style d’architecture dont vous aurez besoin.
La tentation serait alors de vouloir résumer le digital à une question d’ingénieur. Ce n’est pas une question d’ingénieur. L’important est de comprendre les styles d’architecture et leurs implications, à tous les niveaux de l’organisation.
Autre exemple de style, cette fois dans le design et l’ergonomie, c’est la question de l’affordance. L’affordance c’est l’évidence de l’utilisation d’un produit, d’un logiciel etc. Par exemple : les poignets de portes sont souvent affordantes. Les jeux vidéo sont devenus affordants, « on apprend à jouer en jouant ». Chez Apple, il existe des mécanismes d’affordance. Dans ce style de logiciel, il n’y a plus de documentation ou de formation.
Le style, c’est le soleil noir de nos organisations. La question, c’est de « trouver votre propre style ».
Notre conviction : prenez des recettes et inventez votre propre style !