Le métavers, où en sommes-nous ? Partie 3, l’humain et l’environnement dans tout ça ?

La hype du métavers est enfin retombée et nous avons vu dans les articles précédents qu’il existe beaucoup de plateformes gravitant sur ce thème et ayant chacune leur propre vision et définition du sujet.

Quelque soit la proposition de valeur de ces métavers, ils ont intrinsèquement plusieurs limites, que ce soit en termes d'accessibilité, d’innovation ou d’impact environnemental.

Aujourd'hui, nous allons nous intéresser aux principales limitations empêchant d’arriver au “métavers” idéal (tel qu’imaginé dans la littérature et l’inconscient collectif).

0. Récapitulatif des épisodes précédents

Sans vouloir raconter une n-ième fois la genèse du Métavers, il y a toutefois plusieurs faits saillants à connaître pour comprendre les problématiques d’adoption du Métavers.

  • Le terme est issu de la littérature SF (1992) pour décrire un internet ultra immersif

  • Facebook se renomme Meta et clame être une “Metaverse company”

  • FOMO (Fear of missing out / La peur de rater une occasion): “Même si nous ne comprenons pas le sujet, si Facebook investit autant, c’est que cela doit être juteux. Plongeons, nous aussi dedans”: cette phrase illustre le sentiment d'appréhension qui déclenche une bulle spéculative

  • “Si les concurrents y vont, nous devons aussi y aller”: L’ effet boule de neige est lancé et le Métavers apparaît dans la stratégie Digital de l’ensemble des grandes entreprises

  • Quatre types de population émergent : les producteurs, les créateurs, les locataires et les consommateurs

    • les producteurs sont des entreprises ou startups créant/possédant des plateformes de métavers

    • les créateurs sont des entreprises créant ou personnalisant les contenus 3D

    • les locataires sont des entreprises ou particuliers réservant des espaces pour héberger des activités pour leurs communautés

    • les consommateurs sont des particuliers ou des entreprises voulant utiliser (ou explorer) des services dans le métavers

En parallèle, chaque entreprise s'approprie le terme Métavers et l’interprète à sa façon en fonction de son secteur d’activité et ses enjeux économiques.

Quelques exemples:

  • Pour une banque, un assureur ou un créateur, le métavers doit être basé sur la blockchain/les cryptomonnaies car sa priorité est la traçabilité et la monétisation

  • Pour un commerçant, le métavers sera un espace de connexion entre la marque et ses clients avec des possibilités pour visualiser des produits, consommer virtuellement…

  • Pour un industriel, le métavers sera un espace de collaboration à distance, d’accès à l’information de son entreprise (Digital Twin) et de formation

  • Pour un acteur du divertissement ou réseau social, le métavers sera un lieu virtuel permettant de créer des communautés, de jouer, de consommer des média numériques

Nous avons ainsi le quadrant suivant qui représente 4 formes de métavers différents et très peu interconnectés:

Avec des interprétations aussi différentes et une précipitation spéculative, le métavers a vite rencontré des obstacles et frictions:

  • Déconnexion entre les ambitions des entreprises et les besoins réels des utilisateurs avec un création précipitée d’expériences sans contenu pertinent ni stratégie

  • Confusion et amalgame entre les termes Web3, Réalité Virtuelle et Blockchain

  • Nécessité de posséder un casque VR, un ordinateur puissant ou un compte de type Blockchain

  • Dissonance forte entre le buzz Métavers et les enjeux climatiques et d’inclusion

Explorons ensemble les principaux aspects limitants le Métavers.

1. L’accessibilité et l’inclusivité des métavers

L’accessibilité des solutions de métavers est une question importante à aborder. En effet, l’accès est actuellement limité par certains gouvernements, par le prix ou par l’adaptabilité des solutions à certaines situations de handicap.

Les limitations géographiques et réglementaires

Premièrement géographique, voire politique. En effet, dans certains pays tels que la Chine, la Bolivie, l’Indonésie, l’Égypte, et la Turquie, l’utilisation des cryptomonnaies et des NFT est interdite, donc tout programme, jeu, application qui en utilise sont automatiquement bannis.

Certains jeux sont également interdits en Chine et en Corée du Nord, car ils ne respectent pas les lois en vigueur dans le pays, particulièrement les lois pour la protection des données et les réglementations pour les jeux/applications destinées aux enfants et adolescents. C’est le cas, par exemple, du célèbre jeu Fortnite en Chine depuis l’année dernière.

De même, certains casques de réalité virtuelle n’ont pas été vendus en Allemagne pour des raisons réglementaires (RGPD) et sanitaires.

Le prix

Le prix du matériel nécessaire (casque VR, ordinateur équipé d’une carte graphique, téléphone dernier cri, …), bien que de plus en plus abordable, reste non négligeable pour une adoption à grande échelle et tout public. Il faut compter actuellement un budget d’environ 450€ pour faire ses premiers pas dans le Métavers.

De ce fait, l’adoption des technologies AR/VR concerne encore une minorité de personnes dans le monde, composée principalement de gamers, de geeks et de développeurs.

L’accessibilité aux situations de handicap

La plupart des expériences 3D proposées sur le marché ne sont pas accessibles pour les personnes ayant une déficience visuelle (lunettes épaisses, daltonisme, …) ou pour certaines situations de handicaps moteurs empêchant l’utilisation des manettes, ce qui encore une fois réduit l’audience possible.

Lors de la table ronde qui s’est tenue le 12 octobre 2022 à l’événement “Pour des métavers plus responsable” organisé par Simplon. Véronique BUSTREEL (Directrice de l’Innovation et de l’Évaluation et de la Stratégie chez l’Agefiph) et Jamshid KOHANDEL (Expert en accessibilité numérique à la DINUM) s’interrogent sur les moyens d’inventer un monde virtuel accessible à tous et se demandent si le métavers doit être à l’image de notre société ou si finalement le handicap peut ou doit ‘disparaître’ dans le monde virtuel (“le handicap est existant seulement dans la réalité, doit-il être transposé dans le métavers ?”)

L'inclusivité et la représentativité

Ainsi dans la continuité de l’accessibilité, il faut soulever la question de la représentation du handicap dans le métavers. Le handicap pouvant être considéré comme faisant partie de l’identité voire la personnalité, les plateformes Métavers se doivent donc permettre aux porteurs d’exprimer et représenter leur handicap comme ils le souhaitent.

Cette problématique avait déjà été mise en évidence avec les besoins d’expression de genre, d’identité (religieuses ou ethniques) partiellement résolus par des configurateurs d’avatars de plus en plus précis notamment sur la morphologie (corps et visage) et l'accessoirisation (percing, lunettes, bijoux).

Toutefois, ils restent des absences dans les configurateurs d'avatars:

  • Les prothèses, dismorphies ou l'absence de membre

  • Les troubles de postures (du strabisme à la scoliose)

  • Les choix hors Homme/Femme lors de la sélection du type d'avatar

  • Les choix de styles et habillages non genrés (par exemple: seules les avatars Femmes peuvent choisir une jupe rose)

A cela s'ajoute une limite d'adoption liée aux utilisateurs qui sont partagés entre ce besoin de représentation fidèle de leur apparence réelle (ou apparence souhaitée) et la pression sociale (souvent dans le domaine professionnel) de conformisme entraînant l'utilisation d'avatars polissés aussi bien au niveau du dress-code que de la morphologie.

Zoom sur les casques de réalité virtuelle ou augmentée

Les casques de réalité virtuelle et de réalité augmentée se doivent aussi de s’adapter aux différentes morphologies.

Lors de cette même table ronde**,** Jean Marie BURKHARDT (Directeur de recherche à l'Université Gustave Eiffel) a abordé le sujet de l’impact de la réalité virtuelle (VR) sur la santé.

La Cyber Cinétose est probablement l’effet le plus connu, il s’assimile au mal des transports (nausée, vomissement, mal de tête,...). Jean-Marie rappelle que ce mal concerne 50% de la population et est dépendant du temps d'exposition. Néanmoins, plus on l’utilise, moins on est malade. Malheureusement, l’utilisation de la VR étant si occasionnelle, l’habitude (créant la résistance) ne pourra se faire. De plus, certains utilisateurs ayant des facteurs individuels ou prédispositions ne s'habitueront jamais sans médication..

Il met également en garde sur le fait que notre perception et nos réflexes peuvent être altérés performants après une session de VR et déconseille donc de conduire ou de réaliser une tâche complexe dans les 30 minutes suivant une immersion en réalité virtuelle.

Aujourd’hui, nous possédons très peu d’études sur les effets à long terme de la VR pour conclure sur les risques réels de l’utilisation de cette technologie sur la cognition, la mémoire et le physiologie.

2. Utilisation et modération

Tout comme les réseaux sociaux, la réalité virtuelle est déconseillé avant 13 ans. Avec un temps d’utilisation le plus court possible. Avant cet âge, la physiologie de l’enfant est encore en phase de construction. C’est le cas du sens de l'équilibre (vestibulaire), la vision stéréoscopique, la spatialisation qui pourraient être impactés voire ralentis par un usage excessif de la réalité virtuelle, à cela s’ajoute le poids des casques (~500g) souvent mal équilibré qui pèsera sur la crâne et la nuque.

De plus, les enfants ne savent pas forcément exprimer les symptômes ou problèmes qu'ils rencontrent, d’où :

  • une interdiction formelle avant 6 ans

  • avec beaucoup modération avant 13 ans

Un point souvent négligé est le risque émotionnel lié à la modification de “soi”. La VR implique une ambiguïté entre le “moi physique” et le “moi représenté”. Contrairement au jeu vidéo conventionnel, le côté immersif rend encore plus troublant cet autre moi, qui n’est pas moi et peut provoquer des sentiments de dépersonnalisation (aliénation envers soi) et de déréalisation (détachement de la réalité).

L’utilisation d’avatars et de corps virtuels donnent aussi un sentiment de pseudo-liberté qui ferait oublier les éléments clés des interactions sociales (comme l’espace personnel et le respect). Ainsi, dans les applications, tel qu’Horizon Worlds, un système de “safe zone” est proposé afin de créer une bulle/distance de sécurité, couper le son d’un utilisateur, le bloquer et le signaler si besoin. Pour le signalement, l’application enregistre en continu la session de l’utilisateur et envoie les dernières secondes avant le signalement à un modérateur pour vérifier le comportement de l’accusé.

Dans la table ronde citée précédemment, Shani BENOUALID (Digital & Social Advisor au sein de la DILCRAH) précise que nous retrouvons dans le métavers les même dérives qui existent déjà sur les réseaux sociaux (Discours lgbtphobes, haine raciale, complotisme,...) mais également de nouveaux problèmes comme :

  • un cyberharcèlement plus extrême (témoignages de viol en VR) car plus impactant émotionnellement en immersion

  • une modération lacunaire. Par exemple, sur Meta Horizon Worlds, des journalistes ont créé un salon faisant référence au mouvement complotiste extrémiste QAnon. Malgré un signalement aux modérateurs, Meta a jugé qu'il n'y avait pas d'infraction.

  • une gouvernance et protection des données personnelles dépendantes des acteurs du marché, par exemple, des journalistes ont créer un ch

La modération des métavers et applications présentés dans l’article précédent pose un réel problème. En effet, est-ce possible d’avoir un monde se voulant libre et permissif sans modération ou sans abus ? Bien que cela ressemble à un sujet de philosophie du Bac, les acteurs du métavers et les organismes de régulation doivent répondre maintenant aux questions suivantes:

Qui est modérateur ? Qui possède le pouvoir de bannir ou non une personne dans un monde virtuel ? Est-ce que la communauté peut décider seule (DAO) de façon objective ? Quels sont les droits et responsabilités des visiteurs ?

3. Les limitations techniques

Aujourd’hui, malgré la multitude d’expériences collectives dans le métavers, il existe des freins structurels et techniques comme le temps de latence, la saturation des réseaux et  des serveurs auxquels s’ajoutent les enjeux réels de standardisation et d’interopérabilité de ces expériences.

Un concert ou spectacle partagé réellement par des milliers de spectacteurs n’est actuellement pas possible car les serveurs d’expériences Métavers ne permettent qu’un nombre limbité de personnes en simultanée dans un même espace.

Pour aller au-délà de 50-100 utilisateurs, les plateformes font appel au Sharding qui consiste à dupliquer l’expérience et répartir des petits groupes d’utilisateurs dans différentes copies du monde.

Côté utilisateur, il faut posséder un réseau très haut débit (Fibre, 5G…) pour profiter d’une expérience collective fluide et sans latence.

Un Métavers de masse à grande échelle nécessite la généralisation des technologies de réseau de nouvelle génération (5G et 6G, WiFi 6, Edge computing, Cloud Rendering). La Corée du Sud a commencé le déploiement de son réseau 5G depuis avril 2019, lui permettant de rassembler 8,6 millions d’utilisateurs 5G (vs 1,6 million en France au dernier trimestre 2021, selon les données de l’ARCEP). Ce déploiement massif de la 5G leur permet d’atteindre un plus fort taux de pénétration d’espaces de réalité virtuelle (plus de 200 espaces d’exploitation dans le pays : salles de jeux, cinéma, musées), qui ont permis une adoption rapide ces technologies par les populations et un taux d’équipement individuel largement supérieur à la moyenne mondiale.

Nous sommes donc encore très loin de répliquer l’entièreté des mouvements de centaines d’avatars synchronisés comme dans le film “Ready player One”. À cela s’ajoute le problème que nous vivons ces derniers mois sur les ruptures de stock pour certains composants (notamment les cartes graphiques).

4. Intéropérabilité

En juin 2022, Le Metaverse Standards Forum (hébergé par The Khronos Group) a été créé dans le but de créer un espace de discussions et de prise de décisions entre les organismes de standardisation internationaux et les entreprises qui se positionnent dans les technologies du métavers. Cependant, l’absence d’entreprise comme Roblox, Niantic, Apple et le manque de représentativité des états européens, questionne sur la mise en place effective de cette norme.

Plusieurs éléments doivent être intéropérables:

  • Les profils utilisateurs: au-delà de l’authentification (Single Sign On), quelles données et comment  doivent transiter entre les différents métavers ? L’identité de l’utilisateur, ses avatars, son historique de transactions, ses groupes d’amis…

  • Les certificats de propriété (NFT) liés aux créations et aux achats. Malheureusement les NFT n’offrent aucune protection contre le vol, la copie et ni la contrefaçon. Seul le certificat lui-même est protégée par la blockchain. Les expériences passées de la musique et du cinéma démontrent pourtant que cette question est primordiale pour les créateurs et les auteurs et doit être abordée en amont. Les « assets » des jeux vidéo, les données de capture de mouvement et les programmes d’œuvres interactives devront être protégés contre le vol, la copie et la contrefaçon lors des échanges entre métavers « interopérables »

4. Impact écologique

Il ne faut pas non plus oublier le coût écologique des futures infrastructures et équipements permettant d’avoir l’expérience la plus qualitative et complète possible.

Actuellement, selon le Sénat, “70 % de l’empreinte carbone totale du numérique en France est due à la fabrication des terminaux (40 % au niveau mondial).”

Il faut, de ce fait, se poser les bonnes questions et essayer de trouver le meilleur compromis entre innovation et écologie. Par exemple, est-ce qu’une combinaison intégrale pour répliquer nos mouvements dans un monde virtuel est vraiment nécessaire ? Est-ce que des gants et manettes ne seraient pas suffisants ? Avons-nous besoin d’un rendu ultra-photoréaliste pour profiter des avantages que propose le métavers ? … Ce sont ces problématiques qu’il faudra obligatoirement affronter lors des prochaines années.

À savoir : l’impact d’un casque de réalité virtuelle est estimée à plus de 400kgCO2eq sur l’ensemble de son cycle de vie, soit ~20% du budget carbone annuel de 2TCo2eq d’un humain soutenable (source: Meta-waste et étude CEPIR).

Aujourd’hui, le métavers et le numérique en règle générale reposent sur des terminaux dont les matériaux sont rares (puces, câble….) et nécessitent une consommation d’énergie non négligeable.

Dans certains cas d’usages, l’utilisation des métavers peut s’avérer pertinente dans notre contexte actuel, cependant rappelons que le meilleur déchet reste celui que l’on ne crée pas.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire l’article suivant : Métavers ou Méta-waste

Conclusion

Aujourd’hui, le métavers et ses différentes déclinaisons posent beaucoup de questions, auxquelles nous n’avons pas toujours les réponses. Néanmoins, il est indispensable pour les industries, les entreprises, et les créateurs de contenu de commencer à s’interroger sérieusement sur les points liés à l’accessibilité et à la durabilité de ses solutions avant de se lancer dans un projet impliquant du métavers.
Dans les mois avenir, des études sérieuses concernant les impacts, la définition de règles d’éco-conception spécifiques et un engagement de tous les acteurs (entreprises, usagers, gouvernements, spéculateur...) seront nécessaires pour atteindre un Métavers Responsable.

«Il faut toujours connaître les limites du possible.
Pas pour s’arrêter, mais pour entreprendre l’impossible
dans les meilleures conditions.»

Romain Gary, Charge d’âme, 1977

De notre côté, nous imaginons que le métavers utile, utilisable et utilisé sera centré sur des cas d’usage du monde professionnel et industriel comme la collaboration, la formation et l'assistance plutôt que sur un inimaginable déploiement massif auprès des particuliers.


Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter les liens suivants (source) :