De la résilience des standards du Web
Le propos de ce billet est de faire un petit point sur les assauts passés et présents contre les standards du Web. Il est inspiré par l’article de Chris Anderson dans Wired : “The Web Is Dead. Long Live the Internet”. Anderson y développe l’idée suivante : on utilise de plus en plus des applications embarquées, plutôt qu’un navigateur, pour accéder aux contenus sur Internet (son article présente d’ailleurs une courbe très évocatrice. Suivez le lien...). Rappelons que Chris Anderson a fait la keynote d’ouverture de l’USI 2010 en juillet dernier.
L’ère AOL / World Online
Comme chacun sait, les standards du Web (HTTP/HTML) ont été créés par Tim Berners Lee au début des années 90. On doit la montée en puissance des navigateurs et sites Web respectant ces standards d’abord aux scientifiques et universitaires, puis aux geeks. Au milieu des années 90, le Web a atteint le grand public. Une première fronde a alors été menée par des ISP comme AOL et World Online. Ces ISP proposaient un ensemble de logiciels propriétaires masquant les standards : kit de connexion, logiciel de chat, forums fermés, etc. Cette sortie des standard se justifiait alors par le faible niveau de maturité des utilisateurs issus du grand public : une simplification était donc la bienvenue. Ces fournisseurs d’accès ont eu la tentation d’enfermer leurs utilisateurs dans un écosystème propriétaire et contrôlé. Les opérateurs mobiles ont eu plus tard la même démarche avec les portails Wap. Heureusement, tout cela a rapidement volé en éclat dès lors que les internautes ont compris l'intérêt d’un Web ouvert.
L’ère IE / Flash
En 2003, le Web était dominé par Internet Explorer qui disposait de plus de 98% de parts de marché toutes versions confondues. De fait, beaucoup d’agences Web créaient des applications pour Internet Explorer, plutôt que des sites Web.
Par ailleurs, le format Flash était largement utilisé, parfois au delà de ses aptitudes au multimédia et au vectoriel. Ainsi, des pages qui auraient pu être développées à l’identique en HTML se trouvaient codées dans un format propriétaire dont la source était inaccessible à la communauté des développeurs. HTML était alors doublement en danger comme l’explique très bien Mark Surman dans sa session USI 2010 : “How the Web was Won, and other usefull stories”. La relance de la concurrence dans les navigateurs, en particulier grâce à Firefox, a remis le standard HTML en selle. De plus, avec les évolutions de HTML5, Flash est maintenant remis en cause (cf. les attaques virulentes de Steve Jobs contre ce format).
L’ère des AppStores
Le Web est aujourd’hui menacé dans sa version mobile : en effet, de nombreux fournisseurs de contenus préfèrent proposer des applications embarquées plutôt que des WebApps sur les téléphones et tablettes. L’argument pour le développement d’une application embarquée est souvent le besoin de gestion du mode déconnecté et de géolocalisation. Pourtant HTML5 les gère. Ainsi beaucoup d’applications de l’AppStore d’Apple pourraient, à mon sens, être développées à l’identique en HTML5 et bénéficier d’une portabilité entre plateformes mobiles. Les éditeurs de contenus éviteraient ainsi N développements pour iPhone, Android, Windows Phone, Blackberry, etc.
Les raisons du recours aux plateformes de développement embarqué sont généralement les suivantes :
- HTML5 est un standard immature, encore en cours d’écriture. Cependant, les chose avancent à grand pas : voir ce billet sur jQuery Mobile.
- Les éditeurs de contenu voient dans les AppStores un nouveau territoire où il faut être présent : un catalogue organisé par rubriques qui permet une promotion ciblée. Il faut cependant noter que la visibilité des applications diminue rapidement avec la taille des AppStores. Avec 200 000 applications chez Apple, il est de plus en plus difficile d’arriver en première page de l’AppStore. De fait, on parcourt de moins en moins le catalogue, et on revient à la recherche, comme sur le Web...
- Du point de vue de l’utilisateur débutant, Il est simple de rechercher et installer des applications à partir d’un catalogue. Cette pratique me rappelle les débuts du Web en 1996. J’essayais alors de tester tous les sites Web qui sortaient, et des annuaires comme Yahoo ou Lycos avaient l’ambition de tous les classer dans un catalogue. Le principe du catalogue a vite atteint ses limites pour le Web, il est probable qu’il les atteindra pour pour le mobile. Et les utilisateurs mobiles utiliseront un jour un moteur de recherche et des signets comme sur leurs PC.
- Pour les développeurs, il est rapide de développer des applications embarquées, grâce à des outils très productifs, en particulier dans le cadre d’interfaces tactiles. De plus, les AppStores ont permis à quelques privilégiés de se constituer un salaire : cette opportunité fait rêver de nombreux développeurs.
Le contexte devrait évoluer avec la maturité de HTML5 et l’expérience des utilisateurs. Par ailleurs, l’effet “applications payantes versus sites Web gratuits pour les mêmes contenus” est très séduisant pour les fournisseurs de contenus. Néanmoins, son succès réside plus dans l’efficacité des plateformes de micropaiements que dans le caractère embarqué des applications. On pourrait imaginer que l’on parvienne à proposer les mêmes micropaiements dans le cadre d’applications Web : c’est le projet du Mozilla Appstore. Les utilisateurs pourraient alors sortir du côté fermé des AppStores (cf. la politique d’Apple) de même qu’ils sont sortis des environnements fermés des AOL & portails Wap.
J’ai personnellement la conviction que l’on verra un retour au standard HTML pour le mobile d’ici 5 ans.